By Reuters.fr
20 septembre 2014 11h59
John Irish - Antony Paone
Leurs valises renfermaient les souvenirs de vies qu'ils ont laissées derrière eux, au moins temporairement, en Irak : quelque 150 chrétiens et une poignée de Yazidis sont arrivés samedi matin en France, où ils viennent retrouver un peu de liberté.
Dans la nuit chaude d'Erbil, au Kurdistan, femmes, enfants et hommes âgés, qui composaient l'essentiel des passagers, ont patienté jusqu'à 03h00 environ, avant d'embarquer à bord de l'A310 qui, vendredi, avait acheminé dix nouvelles tonnes d'aide humanitaire en Irak.
Pris en charge par des militaires, accompagnés médicalement par deux réservistes de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, rattaché au ministère de la Santé, ils ont été accueillis un peu après 09h00 (07h00 GMT) à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius.
A leur départ, tous portaient le même message : l'Irak ne peut plus faire cohabiter chrétiens et musulmans.
Shakeep, 46 ans, était il y a peu avocat au principal tribunal de Mossoul. Il emmène sa femme, sa mère, sa fille et son neveu à Tours, où vit son oncle. Chacun a eu droit à une seule valise. Ils ont quitté Mossoul il y a six semaines.
"Il n'y a pas d'avenir en Irak. Il ne peut pas y avoir d'avenir entre musulmans et chrétiens. J'ai renoncé à ma vie, je suis partagé entre la tristesse et la joie. Mais avec Daech (l'acronyme arabe pour l'Etat islamique, ndlr), on ne peut pas rentrer", dit Shakeep.
Pour beaucoup, ce nouveau départ est aussi une plongée dans l'inconnu : peu parlent français, la plupart n'avaient jamais pris l'avion, encore moins pour aller en Occident.
"C'est comment ? C'est sûr ? Au moins, il n'y a pas de bombes au moins", s'enquiert Shakeep.
De nombreux dirigeants politiques ou d'associations ont accentué ces derniers mois la pression sur le gouvernement afin qu'il accueille davantage de réfugiés chrétiens du Moyen-Orient.
Les 150 Irakiens arrivés samedi rejoignent la centaine qui ont trouvé refuge en France depuis le début de l'offensive djihadiste de "l'Etat islamique" en juin dernier.
Une quarantaine d'entre eux, de confession chrétienne, sont arrivés du nord de l'Irak fin août, à Paris, après avoir attesté qu'ils avaient des attaches familiales sur place ou assez de ressources pour vivre en France. Une soixantaine d'autres sont venus par leurs propres moyens.
"ÇA NE MARCHE PAS EN IRAK"
Lors de sa visite à Erbil, il y a une semaine, François Hollande avait rappelé que l'objectif de la France était d'aider les chrétiens à "rentrer chez eux" mais qu'elle pourrait recevoir "les cas les plus douloureux".
Selon l'Association française d'entraide aux minorités d'Orient (AEMO), quelque 10.000 chrétiens irakiens ont déposé une demande d'asile auprès du consulat à Erbil depuis juin dernier.
Des responsables français soulignent qu'en accueillant trop de réfugiés, les Occidentaux offriraient aux djihadistes qui veulent éliminer d'Irak tous ceux qui contestent leur vision rigoriste de l'Islam, un succès symbolique.
Mais pour beaucoup de chrétiens irakiens, la menace est devenue trop grande ces trois derniers mois. Ils ne veulent plus être exposés aux violences quotidiennes dans un pays déchiré par les divergences ethniques et religieuses.
Sami, 28 ans, déroule ainsi une histoire compliquée. Sunnite de Falloudja, il a quitté Bagdad il y a dix ans, à la chute de Saddam Hussein, avec son épouse, chrétienne.
"Je suis musulman et elle est chrétienne. Ça ne marche pas en Irak. Je vois ça comme une chance de commencer une nouvelle vie", dit-il. "J'ai eu de la chance de monter dans cet avion", ajoute celui qui, contrairement à la plupart des 150 réfugiés, n'a pas d'attache en France.
Behnam, médecin de 27 ans, et Sarah, future professeur d'anglais de 19 ans, sont de ceux, parmi des milliers, qui ont tout abandonné à Karakosh, que les djihadistes sont arrivés.
"On a un sac, c'est tout. Dès que la bataille a commencé, on a pris peur. Je ne pense pas qu'on puisse jamais rentrer. On ne peut pas vivre là personne n'a confiance en personne", dit Behnam, qui sentait déjà l'hostilité des sunnites avant même l'explosion de violences.
1,2 MILLION DE DÉPLACÉS
La population chrétienne d'Irak est passé d'environ un million de personnes avant la chute du régime de Saddam Hussein en 2003 à 400.000 en juillet dernier.
Aux chrétiens réfugiés samedi en France se sont joints des Yazidis, des Kurdes dont la religion s'inspire du zoroastrisme et que les activistes de l'organisation baptisée Etat islamique ont massacré en masse en août dans les montagnes du Sinjar.
Si aucune des minorités victimes des islamistes n'est exclue du dispositif humanitaire, les chrétiens sont les plus concernés parce que les plus nombreux à être menacés en Irak.
On estime à 200.000 le nombre de chrétiens qui ont fui leurs maisons dans la province septentrionale de Ninive après les passages dévastateurs des islamistes qui leur ont donné comme choix de se convertir, de payer pour poursuivre leur culte, ou de mourir.
Beaucoup se sont réfugiés au Kurdistan, plus au nord, où la plupart vivent dans des conditions précaires, dans des camps ou des écoles réaménagées.
Selon le Haut commissariat de l'Onu pour les réfugiés (HCR), on compte aujourd'hui 1,2 million d'Irakiens déplacés.
La France s'est jointe à l'offensive internationale contre l'organisation radicale sunnite issue d'Al Qaïda et a effectué vendredi matin une première frappe aérienne.
Mais elle est surtout à l'initiative de l'assistance humanitaire européenne aux minorités persécutées. Les dix tonnes d'aide acheminées vendredi s'ajoutent aux 77 déjà livrées depuis le 10 août, date d'une visite de Laurent Fabius, dans la région d'Erbil.
Cette nouvelle cargaison comprend plusieurs tonnes de couvertures, de jerricanes et de tentes afin de pouvoir affronter l'hiver qui approche, précisait-on au Quai d'Orsay.
(Avec Marine Pennetier, Grégory Blachier, édité par Yves Clarisse)
20 septembre 2014 11h59
John Irish - Antony Paone
Leurs valises renfermaient les souvenirs de vies qu'ils ont laissées derrière eux, au moins temporairement, en Irak : quelque 150 chrétiens et une poignée de Yazidis sont arrivés samedi matin en France, où ils viennent retrouver un peu de liberté.
Dans la nuit chaude d'Erbil, au Kurdistan, femmes, enfants et hommes âgés, qui composaient l'essentiel des passagers, ont patienté jusqu'à 03h00 environ, avant d'embarquer à bord de l'A310 qui, vendredi, avait acheminé dix nouvelles tonnes d'aide humanitaire en Irak.
Pris en charge par des militaires, accompagnés médicalement par deux réservistes de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, rattaché au ministère de la Santé, ils ont été accueillis un peu après 09h00 (07h00 GMT) à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius.
A leur départ, tous portaient le même message : l'Irak ne peut plus faire cohabiter chrétiens et musulmans.
Shakeep, 46 ans, était il y a peu avocat au principal tribunal de Mossoul. Il emmène sa femme, sa mère, sa fille et son neveu à Tours, où vit son oncle. Chacun a eu droit à une seule valise. Ils ont quitté Mossoul il y a six semaines.
"Il n'y a pas d'avenir en Irak. Il ne peut pas y avoir d'avenir entre musulmans et chrétiens. J'ai renoncé à ma vie, je suis partagé entre la tristesse et la joie. Mais avec Daech (l'acronyme arabe pour l'Etat islamique, ndlr), on ne peut pas rentrer", dit Shakeep.
Pour beaucoup, ce nouveau départ est aussi une plongée dans l'inconnu : peu parlent français, la plupart n'avaient jamais pris l'avion, encore moins pour aller en Occident.
"C'est comment ? C'est sûr ? Au moins, il n'y a pas de bombes au moins", s'enquiert Shakeep.
De nombreux dirigeants politiques ou d'associations ont accentué ces derniers mois la pression sur le gouvernement afin qu'il accueille davantage de réfugiés chrétiens du Moyen-Orient.
Les 150 Irakiens arrivés samedi rejoignent la centaine qui ont trouvé refuge en France depuis le début de l'offensive djihadiste de "l'Etat islamique" en juin dernier.
Une quarantaine d'entre eux, de confession chrétienne, sont arrivés du nord de l'Irak fin août, à Paris, après avoir attesté qu'ils avaient des attaches familiales sur place ou assez de ressources pour vivre en France. Une soixantaine d'autres sont venus par leurs propres moyens.
"ÇA NE MARCHE PAS EN IRAK"
Lors de sa visite à Erbil, il y a une semaine, François Hollande avait rappelé que l'objectif de la France était d'aider les chrétiens à "rentrer chez eux" mais qu'elle pourrait recevoir "les cas les plus douloureux".
Selon l'Association française d'entraide aux minorités d'Orient (AEMO), quelque 10.000 chrétiens irakiens ont déposé une demande d'asile auprès du consulat à Erbil depuis juin dernier.
Des responsables français soulignent qu'en accueillant trop de réfugiés, les Occidentaux offriraient aux djihadistes qui veulent éliminer d'Irak tous ceux qui contestent leur vision rigoriste de l'Islam, un succès symbolique.
Mais pour beaucoup de chrétiens irakiens, la menace est devenue trop grande ces trois derniers mois. Ils ne veulent plus être exposés aux violences quotidiennes dans un pays déchiré par les divergences ethniques et religieuses.
Sami, 28 ans, déroule ainsi une histoire compliquée. Sunnite de Falloudja, il a quitté Bagdad il y a dix ans, à la chute de Saddam Hussein, avec son épouse, chrétienne.
"Je suis musulman et elle est chrétienne. Ça ne marche pas en Irak. Je vois ça comme une chance de commencer une nouvelle vie", dit-il. "J'ai eu de la chance de monter dans cet avion", ajoute celui qui, contrairement à la plupart des 150 réfugiés, n'a pas d'attache en France.
Behnam, médecin de 27 ans, et Sarah, future professeur d'anglais de 19 ans, sont de ceux, parmi des milliers, qui ont tout abandonné à Karakosh, que les djihadistes sont arrivés.
"On a un sac, c'est tout. Dès que la bataille a commencé, on a pris peur. Je ne pense pas qu'on puisse jamais rentrer. On ne peut pas vivre là personne n'a confiance en personne", dit Behnam, qui sentait déjà l'hostilité des sunnites avant même l'explosion de violences.
1,2 MILLION DE DÉPLACÉS
La population chrétienne d'Irak est passé d'environ un million de personnes avant la chute du régime de Saddam Hussein en 2003 à 400.000 en juillet dernier.
Aux chrétiens réfugiés samedi en France se sont joints des Yazidis, des Kurdes dont la religion s'inspire du zoroastrisme et que les activistes de l'organisation baptisée Etat islamique ont massacré en masse en août dans les montagnes du Sinjar.
Si aucune des minorités victimes des islamistes n'est exclue du dispositif humanitaire, les chrétiens sont les plus concernés parce que les plus nombreux à être menacés en Irak.
On estime à 200.000 le nombre de chrétiens qui ont fui leurs maisons dans la province septentrionale de Ninive après les passages dévastateurs des islamistes qui leur ont donné comme choix de se convertir, de payer pour poursuivre leur culte, ou de mourir.
Beaucoup se sont réfugiés au Kurdistan, plus au nord, où la plupart vivent dans des conditions précaires, dans des camps ou des écoles réaménagées.
Selon le Haut commissariat de l'Onu pour les réfugiés (HCR), on compte aujourd'hui 1,2 million d'Irakiens déplacés.
La France s'est jointe à l'offensive internationale contre l'organisation radicale sunnite issue d'Al Qaïda et a effectué vendredi matin une première frappe aérienne.
Mais elle est surtout à l'initiative de l'assistance humanitaire européenne aux minorités persécutées. Les dix tonnes d'aide acheminées vendredi s'ajoutent aux 77 déjà livrées depuis le 10 août, date d'une visite de Laurent Fabius, dans la région d'Erbil.
Cette nouvelle cargaison comprend plusieurs tonnes de couvertures, de jerricanes et de tentes afin de pouvoir affronter l'hiver qui approche, précisait-on au Quai d'Orsay.
(Avec Marine Pennetier, Grégory Blachier, édité par Yves Clarisse)