Le patriarche des chaldéens se rend ce mardi 25 juillet avec le cardinal Barbarin à Mossoul, ville où il a grandi et été ordonné prêtre, tout juste libérée après trois ans d'occupation par Daech. Nous l'avons rencontré à la veille de son retour.
Pourquoi allez-vous à Mossoul aujourd'hui ?
Mossoul est une ville très symbolique, elle représente toute la
civilisation assyrienne, chrétienne puis arabe et musulmane. Toute la
mosaïque irakienne existe à Mossoul. Pour nous, chrétiens, c'était le
berceau du christianisme : toute notre liturgie a été formée et
organisée au couvent dit « d'en haut », comme nous l'appelions par le
passé car il était sur une colline de la ville. Aujourd'hui c'est le
monastère de l'Immaculée. Toute la liturgie de ce qui s'appelait
l'Église d'Orient a été promulgué là-bas. C'est un lieu de mémoire.
Moi-même j'ai été élevé a Mossoul, j'ai grandi dans cette ville – au
début dans un quartier populaire de l'ancienne vieille ville, puis dans
le nord de Mossoul, dans deux maisons de ma famille côte à côte. C'est
toute mon histoire, car ensuite j'ai été curé à Mossoul pendant plus de
vingt ans, avant d'être recteur du séminaire à Bagdad et évêque de
Kirkouk. Pour moi, Mossoul c'est le premier amour.
Qu'est ce que le diocèse de Mossoul d'aujourd'hui ? C'est un
lieu, mais ce sont aussi des personnes qui sont parfois bien éloignées
les unes des autres…
Nous avons eu dans l'histoire beaucoup de diocèses qui ont été effacés
par les guerres, puis les chrétiens ont été persécutés et maintenant,
que reste-t-il à Mossoul ? Les églises ont été presque détruites : des
pierres enlevées, les portes et les toits percés… Il y règne un désordre
extraordinaire. On ressent presque un sacrilège, on sent combien la
haine était profonde contre tout ce qui est chrétien, alors que nous
sommes pour la paix. Nous avons beaucoup donné aux musulmans, sur le
plan culturel, interreligieux… Les premiers médecins étaient chrétiens,
les premiers avocats aussi, et c'est sans compter les hôpitaux, les
instituts de formation… Aujourd'hui encore, notre solidarité est pour
tous : nous venons à Mossoul avec des colis alimentaires pour 3000
familles, dans un geste envers ceux qui sont toujours à Mossoul. J'ai
parfois le sentiment que les musulmans oublient vite cette longue
histoire.
Il y a un avenir pour chacun de nous en Irak ! Sauf qu'il n'adviendra pas par magie, il ne descend pas du ciel automatiquement.
Mais comment la faire connaître à nouveau ?
Je crois que la seule solution pour tous est un état séculier avec,
donc, une séparation de la religion et de l'État, et comme projet commun
la citoyenneté. Jusqu'à présent dans mon pays, il n'y a pas eu de
projet de citoyenneté qui inclurait tout le monde, quelle que soit sa
religion. Or la religion s'expose mais ne s'impose pas. En tant que
citoyen, j'ai le droit au respect… Et moi-même, je suis d'abord Irakien
et ensuite chrétien. La terre est mon identité : même le Christ a une
citoyenneté, l'Évangile dit qu'il a pleuré pour Jérusalem. Nous
souffrons beaucoup de voir notre pays dans une telle situation.
Certains ont d'ailleurs quitté cette terre...
Après la guerre Irak-Iran, beaucoup de jeunes sont partis pour éviter
le service militaire. Et quand le régime est tombé, d'autres ont suivi,
affaiblissant encore la situation des chrétiens. Nous étions un million
et demi avant la chute, aujourd'hui il n'y a pas de statistique mais on
parle de 400.000 à 500.000 personnes. Mais il y a un avenir pour chacun
de nous en Irak ! Sauf qu'il n'adviendra pas par magie, il ne descend
pas du ciel automatiquement. L'avenir, ça se construit avec les autres.
Cela passe par bâtir des liens de confiance : tous les musulmans ne sont
pas mauvais, tous ne sont pas Daech. Et les chrétiens non plus ne sont
pas tous bons.
Une réconciliation est-elle possible pour ceux qui sont partis ?
Moi, je garde en tête mon histoire : je suis retourné voir la maison de
ma famille à Mossoul, et tous nos meubles avaient été pris par nos
voisins. Ils me l'ont dit, ils ne savaient pas quand et si on
reviendrait et ils se sont servis. Ce n'était pas pour faire du mal, ils
en avaient besoin. Cela ne fait pas d'eux des voleurs.
Il faut soutenir les chrétiens d'Orient dans leur résistance, leur
espérance et leur témoignage car, par leur spiritualité, ils sont un
appui pour le christianisme occidental.
Comment faire face aux enjeux pastoraux ?
Certains prêtres sont partis rejoindre des communautés de chaldéens
réfugiées à l'étranger… mais je crois que le clergé doit rester, sinon
tout le monde partira. Aujourd'hui, nous avons 70 prêtres chaldéens, et
des moines. Dans le pays, il y a environ un prêtre par paroisse, avec
des exceptions : à Bagdad, j'ai 25 paroisses dont 8 sont presque fermées
car il y a moins de chrétiens sur place. À Mossoul, il n'y a pas de
paroisse car les chrétiens ne sont pas encore revenus. Quand les gens
reviendront, petit à petit, je réparerai mon Église et je ferai une
paroisse.
Quels sont les enjeux à Mossoul ?
Il faut d'abord reconstruire physiquement : l'Irak n'est pas un pays
riche, et ce que nous avons finance l'armée, des armes… Aujourd'hui,
seul le pétrole rapporte. Il n'y a pas beaucoup d'industries et
l'agriculture s'est appauvrie, alors que nous avions une bonne
production avant. Le tourisme était un point fort, mais c'est
entièrement à l'arrêt. Il y a surtout un grand risque qui couve dans les
camps de déplacés musulmans en Irak : s'ils ne peuvent pas trouver du
travail, avoir une maison pour vivre avec leur famille, nous risquons un
nouveau Daech.
Rebâtir aussi pour les chrétiens : dans la plaine de Ninive, près de
Mossoul, si les chrétiens ne retournent pas dans leurs maisons, d'autres
y aspirent. Il y a un risque de changement démographique. D'autant que,
même si on ne voit pas de quoi l'avenir sera fait, je crois que petit à
petit, en reprenant nos marques sur place, on pose les jalons pour que
les choses changent.
Les étudiants chrétiens qui étaient en nombre à l'université de Mossoul pourront-ils revenir ?
C'est vrai qu'il y avait 10.000 étudiants chrétiens dans cette
université. Aujourd'hui ils sont à Bagdad, Erbil, 800 sont à Kirkouk…
Avec la situation de tension actuelle, avec des voiles partout alors
qu'il n'y en avait quasiment pas à Mossoul, je ne sais pas s'ils vont
revenir. En même temps, dans les écoles chrétiennes, il y a beaucoup
d'enfants musulmans, c'est une manière de préparer l'avenir, préparer
une génération prochaine plus sensibilisée à la convivance.
Est-ce vous vous sentez soutenu par l'Église du monde ?
Par des visites comme celles des évêques français aujourd'hui (le cardinal Barbarin, accompagné de Mgr Dubost et Mgr Stenger, ndlr),
nous sentons que nous ne sommes pas isolés, mais la position de
l'Église paraît parfois timide. Les orientaux sont très importants pour
l'Église, nous avons une grande richesse liturgique et spirituelle à
offrir au christianisme occidental : nous sommes l'origine du
christianisme, donc notre présence a un sens ici. Il faut soutenir les
chrétiens d'Orient dans leur résistance, leur espérance et leur
témoignage car, par leur spiritualité, ils sont un appui pour le
christianisme occidental.