By Agnès Rotivel
En route pour Marseille où il devait célébrer une messe pour les chrétiens d’Orient, Mgr Louis Sako, archevêque chaldéen de Kirkouk, était de passage à Paris et à Sarcelles pour y rencontrer les familles irakiennes en France
Mgr Louis Sako, archevêque chaldéen de Kirkouk, au nord de l’Irak, ne fait pas de triomphalisme à propos de la situation dans son pays. «Il y a encore des attentats et des enlèvements, mais moins qu’avant, souligne-t-il. L’économie aussi s’améliore, les salaires dans les villes sont en hausse, et la construction bat son plein. Dans la ville de Kirkouk d’où je viens, la plupart des gens ont un emploi et 90 % d’entre eux travaillent dans le secteur du pétrole. L’Irak est un pays riche. Certes, il y a encore de la corruption mais sur ce point aussi, la situation s’améliore. Reconstruire le pays demande du temps et beaucoup d’efforts, mais nous sommes sur la bonne voie».Politiquement, cependant, la situation reste compliquée. À l’heure où il était à Paris, l’adoption de la loi électorale était toujours bloquée par le vice-président sunnite Tarek al-Hachémi. Or de ce texte dépend la tenue des élections générales prévues par la Constitution entre le 18 et le 21 janvier. Pour lever son veto, Tarek al-Hachémi exige que le parlement attribue 15% des sièges de l’Assemblée nationale aux minorités (chrétiens, yézidis, Shabaks, Turkmènes,…) et aux Irakiens de l’étranger, soit 48 sièges sur 323, contre les 5 % figurant dans le texte actuel.
«Si tous les chrétiens quittent le pays, ce sera la fin de la présence chrétienne en Irak»
«Politiquement, le pays change, insiste Mgr Sako. Il y a une lutte pour le pouvoir en Irak entre les différentes coalitions de partis. La perspective des élections engendre des tensions. Mais les politiciens ont acquis de l’expérience, ils débattent. C’est un signe plutôt sain. La liberté d’expression n’existait pas sous la dictature de Saddam Hussein. On peut parler d’un début de démocratie. Des ministres, des parlementaires accusés de corruption ont été mis en prison. Ça bouge même si les progrès sont encore trop lents».
Dans ce paysage politique en recomposition, «l’Église doit jouer un rôle majeur, insiste l’archevêque. Mais pour cela, elle doit avoir un seul discours et réunir les chrétiens sur une même liste au lieu d’être divisée. Nous avons trois députés au Parlement, si nous sommes unis aux prochaines élections, nous pourrions en avoir cinq».
Comme à chacun de ses passages en Europe, l’archevêque chaldéen juge très sévèrement ceux qui, à l’étranger, encouragent les chrétiens d’Irak à s’exiler. «On peut comprendre que ceux qui sont menacés ou ceux qui ont leurs enfants en France, partent. Mais si tous les chrétiens quittent le pays, ce sera la fin de la présence chrétienne en Irak. On a des problèmes, mais ça n’est pas la fin du monde».
«Il vaut mieux être chrétien en Irak, qu’émigré»
«Il vaut mieux être chrétien en Irak, qu’émigré»
S’obstinant à convaincre les chrétiens d’éviter les départs définitifs, il leur propose une solution intermédiaire qui consiste à les inviter à s’installer momentanément au Kurdistan irakien, au lieu de partir en Syrie, en Jordanie ou en Europe, « où ils vivent dans la misère». «Les villes kurdes de Duhok, Sulemanieh, Erbil, sont sûres, dit-il. Les chrétiens y sont bien accueillis et sur place, l’Église chaldéenne peut les aider matériellement. Au Kurdistan, il existe une pastorale, c’est la même liturgie que dans le reste de l’Irak et on y parle la même langue. Un père qui travaille à Bagdad, peut envoyer sa famille au Kurdistan et lui rendre visite régulièrement, ce n’est pas loin».
Du 9 au 13 novembre, tous les évêques catholiques et la Réunion des œuvres d’aide aux Églises orientales, se sont réunis à Erbil, pour mettre au point l’aide à apporter aux chrétiens au Kurdistan. «Si on excepte la question de la sécurité, il vaut mieux être chrétien en Irak, qu’émigré, loin de son pays. Car chez nous, il y a encore une solidarité familiale et des valeurs très fortes», conclut l’évêque.