Colloque  « Construire la Paix au Proche-Orient par la promotion de la diversité culturelle et religieuse »
 (sur invitation), Salle Clemenceau (Palais du Luxembourg), organisé par
 le groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec 
les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes, présidé par 
M. Bruno Retailleau, avec l’Association Agir pour la Paix avec les 
Chrétiens d’Orient, présidée par M. François Fillon, Ancien Premier 
ministre. 
Ce
 discours a été filmé et envoyé au colloque parce que Sa Béatitude Louis Raphael Sako a 
préféré rester avec son Peuple dans cette situation délicate . 
En
 préambule, permettez-moi de remercier M. François Fillon car cette 
conférence intervient à un moment crucial pour le Proche Orient, marqué 
depuis plusieurs mois par de vives tensions populaires et des 
manifestations nombreuses. 
 En
 raison des manifestations l'Irak traverse depuis deux mois des moments 
très difficiles que l'on peut même qualifier de chaotiques.  Ces manifestations n'ont pas de précédent quant au auombre, à la diversité des participants et au type des revendications.  Ces
 manifestations sont un mouvement populaire pacifique qui n'a rien à 
voir avec les considérations de partis politiques ou du sectarisme.  Ces jeunes sont désespérés par une classe politique qui depuis 2003, n'a fait que des discours et des promesses.  La
 corruption, l'injustice, la pauvreté, le chômage, le faible niveau des 
services publics, tout cela renforcé par l'émite de l'élite ont conduit à
 un profond désespoir.  Ce
 que demandent ces manifestants c'est un pays civique avec une 
démocratie pluraliste permettant la participation de tous les Irakiens 
sans exception.  Ils aspirent avo avoir une vie libre et digne pour eux et pour leurs enfants. 
 Le
 nombre de morts et de blessés est élevé, certaines routes sont 
bloquées, de nombreuses écoles et universités sont fermées, le mouvement
 dans la rue est presque paralysé.  Néanmoins
 il faut reconnaître que le gouvernement essaie de mener certaines 
réformes cependant les manifestants les trouvent insuffisantes et 
continuent à demander le changement d'un régime qu'ils jugent sectaire 
et corrompu.  A ce stade, il n'y a pas de dialogue, les positions des manifestants et du gouvernement se font écho sans se répondre.  Cette situation de blocage conduit chaque jour un peu plus le pays vers l'inconnu. 
 Je fais le vœu que ce colloque soit un premier pas afin d'éclairer l'avenir de notre région sur le chemin de la paix.  En effet, la paix est une formation, il est nécessaire de s'y entraîner, de la travailler.  Bien
 sûr, la paix est un défi mais nos différences qui en apparence nous 
divisent permettent que nous soyons en réalité complémentaires.  Chaque composante de nos pays à un talent à offrir à la société toute entière. 
 Par
 ces différences, par ces complémentarités, nous dépendons naturellement
 les uns des autres: lorsque je sais que j'ai besoin de mon voisin, je 
fais encore plus attention à lui et à vivre en paix avec lui.  Aujourd'hui
 il est nécessaire de sortir de nous-memes pour travailler de manière 
simple et concrète à construire la paix: «Heureux les artisans de la paix
!  »Dit Jésus (Mat 5: 8). 
 Pour
 construire la paix dans nos sociétés, le développement d'une 
citoyenneté réelle est une condition nécessaire pour le Proche Orient. 
-   Aujourd'hui il ya chez les irakiens et au Proche Orient un nouvel état d'esprit mais les clivages demeurent profondément ancrés. 
 Près de deux ans après la reconquête de Mossoul, notre pays est traversé par un paradoxe: 
 Il
 ya une grande aspiration parmi les irakiens à ne plus vivre en décalage
 par rapport à la modernité et à tourner enfin la page des guerres et 
des divisions.  La
 plupart des personnes que vous pourrez interroger en Irak vous diront 
vouloir tourner la page des divisions et du sectarisme parce que le 
sectarisme abolit le statut de la citoyenneté et du citoyen. 
 Et pourtant, la société irakienne semble être toujours marquée par de profondes lignes de fractures. 
 Les clivages qui segmentent la société irakienne sont en effet nombreux.  Ils sont d'origine tribale, ethnique, religieuse ou encore culturelle.  Il
 faut vous imaginer qu'aujourd'hui, dans un certain nombre de régions 
rurales d'Irak, l'appartenance à une tribu est le premier repère 
identitaire.  Pourtant cela serait trop simple si être membre d'une tribu suffisait à définir votre identité.  En réalité ces personnes sont membres d'une famille qui appartient à un clan qui fait lui-même partie d'une tribu. 
 Ette
 cette réalité tribale il faut ajouter l'appartenance religieuse: 
beaucoup de tribus sont-elles mêmes divisées entre chiites et sunnites. 
 Si
 vous superposez, l'appartenance tribale, la religion, les choix 
politiques et la fierté géographique, vous comprenez l'urgence qu'il ya à
 favoriser une cohésion nationale bâtie sur l'appartenance commune à la 
même Cité.  Grâce
 à cette communauté irakienne et à son identité forgée dans un alliage 
qui mélange notre histoire millénaire et les récentes souffrances des 
guerres, il est urgent de faire de nos différences, des complémentarités
 qui favorisent une dynamique d'échange pl . 
-   La citoyenneté est la seule solution pour aller au-delà des divisions.  La citoyenneté est la seule solution pour l'avenir de l'Irak et de notre région.  Cette citoyenneté doit être pour tout le monde;  tous doivent y être intégrés;  c'est sous sa tente que tous seront protégés quelle que soit leur appartenance ethnique et religieuse.  La notion de citoyenneté permet de mettre fin aux distinctions et aux exclusions, comme c'est le cas en Occident démocratique.  L'appartenance citoyenne fait qu'il n'y a plus de majorité religieuse ou ethnique ni même de notion de minorité.  La citoyenneté permet que tous soient protégés parce que tous sont soumis à la même loi. 
 Cependant
 pour que la citoyenneté devienne réelle et ne reste pas un concept 
vague, il est nécessaire qu'elle s'incarne concrètement dans le 
fonctionnement des services publics irakiens.  Il
 est nécessaire que l'Irak s'inspire de la démocratie pour que les 
postes de fonctionnaires, par exemple, ne soient plus attribués en 
raison de liens familiaux ou d'appartenance mais seulement en raison de 
compétences.  Si les Irakiens savent que leurs enfants ont tous les mêmes chances de réussir, ils se sentiront plus pleinement citoyens.  Si
 les Irakiens savent que le policier qui les contrôle est là parce qu'il
 a réussi un concours sur la base de ses compétences, ils le 
respecteront plus.  C'est toute la relation entre les citoyens et les représentants de l'Etat qui changera de manière positive. 
-   Quel est l'impact de la religion sur la citoyenneté? 
 Pour nous chrétiens, la citoyenneté fait partie intégrante de notre culture aujourd'hui.  Nous nous félicitons de la séparation de la religion et de la politique.  Le discours religieux devrait se concentrer courageusement sur la défense des droits de l'homme.  Les membres du clergé doivent tenir leur rôle prophétique dans la société pour défendre la dignité humaine et la justice.  Dieu est amour et miséricordieux et celui qui n'a pas d'amour dans son cœur, ne connaît pas le sens de la religion. 
 Le conflit interconfessionnel est un scandale.  C'est
 un crime que les gens soient persécutés à cause de leur foi, comme 
c'est arrivé en Irak, en Syrie ou encore en Égypte par exemple. 
 Nous, les citoyens de religion chrétienne, avons beaucoup souffert du sectarisme et de l'extrémisme islamique.  C'est ce qui a poussé notre peuple à émigrer.  En 2003, le nombre des chrétiens en Irak était d'environ 1 876 500 (un million huit cent soixante-seize mille cinq cents).  Actuellement, les chrétiens sont moins d'un demi-million en raison de la persécution et de l'émigration.  Pourtant
 les chrétiens sont une part importante de l'histoire et des origines de
 l'rak mais aujourd'hui dans les manuels scolaires il n'y pas même pas 
une ligne qui parle de notre histoire et de notre religion.  Il n'est pas fait mention de ce que nous avons donné à nos frères musulmans et offert à notre pays. 
 Pour
 que la citoyenneté prenne toute sa place en Irak, il est évident qu'il 
ne faut pas tenter de nier la place qu'occupent les religions dans 
l'histoire de notre pays.  Au
 contraire, la citoyenneté doit être un moyen pour que les religions et 
les courants spirituels se libèrent du poids de la politique et puissent
 se consacrer à veiller au bien des âmes de leurs fidèles et à pratiquer
 la charité.  Libérées
 du rôle politique que l'histoire de l'Irak les a amenées à avoir, les 
religions pourront à nouveau remplir leur vraie mission. 
-   Pour
 qu'une citoyenneté concrète, étape essentielle sur le chemin de la 
paix, s'impose en Irak et au Proche Orient il est nécessaire de faire 
évoluer plusieurs points concrets 
 Pour
 sortir des grands discours, voici quelques résolutions concrètes que 
nous souhaiterions voir appliquées dans notre pays et plus largement 
dans la région: 
 1-
 Une constitution qui garantirait la citoyenneté à tous dans le cadre 
d'un fonctionnement démocratique libéré du jeu des tribus et des 
appartenances pourrait permettre la coexistence harmonieuse de TOUS les 
citoyens.  Concrètement,
 pour que chacun se sente citoyen, il est nécessaire de faire 
disparaître la mention de la religion sur les papiers d'identité et les 
actes administratifs.  Une telle décision est loin d'être anecdotique.  Au-delà
 de la disparition de nombreuses distinctions et discriminations à cause
 de cette mention sur les papiers d'identité, elle permettrait une plus 
grande liberté religieuse.  Il en découlerait la possibilité pour une femme de garder sa religion si par exemple son mari devenait musulman.  Les enfants de ce couple ne seraient plus automatiquement déclarés musulmans. 
 2-
 Interdire avec fermeté les discours de haine et de fanatisme, est une 
étape importante pour faire baisser le niveau de violence verbale et 
physique qui alourdit l'atmosphère de nos sociétés.  En
 outre, cela implique d'éliminer les pratiques tribales d'un autre temps
 consistant à se venger ou à considérer les autres religions comme 
infidèles. 
 3- Dans cette période de l'après Daech, le défi majeur est l'éducation.  Pour
 cela il est nécessaire de réformer les manuels scolaires et de les 
purifier de tout discours de haine, de violence ou de vengeance.  Ce travail a déjà été mené dans d'autres pays du Moyen-Orient, comme au Liban, grâce à la fondation Adyan.  Il est donc possible. 
 4-
 D'un point de vue juridique, nous avons besoin d'une autorité pour 
garantir une interprétation juste du droit et établir une jurisprudence 
actualisée.  Il
 est aussi nécessaire de sensibiliser le grand public aux droits de 
l'homme et aux principes de la citoyenneté et de l'égalité. 
 5- Naturellement, notre peuple a besoin d'infrastructures nouvelles au sortir de cette guerre contre Daech.  Pour
 réconcilier un peuple avec lui-même il est nécessaire qu'il puisse se 
rencontrer et commercer, or hormis une ligne de train il n'existe aucun 
transport public en Irak aujourd'hui.  De la même manière il est important d'encourager les investissements qui permettent aux jeunes d'avoir un travail.  De
 la même manière il est urgent de renforcer nos infrastructures 
essentielles dans le domaine de l'eau et de l'irrigation, de la santé et
 bien sûr de l'éducation. 
 6-
 Enfin, si nous voulons avoir une ligne directrice je crois qu'il est 
nécessaire de tirer parti du «Document sur la fraternité humaine» signé 
aux Emirats Arabes Unis par le grand Imam d'Al Azhar, Ahmed Al Tayeb et 
Notre Saint Père le Pape François.  Ce texte est un point de repère essentiel si nous voulons une véritable «convivialité». 
  Toutes
 ces mesures, si elles étaient mises en place progressivement, 
permettraient l'avènement d'une démocratie heureuse et d'un etat de 
droit en Irak et dans les pays du Proche Orient.