By La Vie
Sophie Lebrun
Sophie Lebrun
En visite dans la rédaction de La Vie lundi 14 mars, Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque irakien de Kirkouk, a appelé les Français à soutenir les jeunes étudiants irakiens restés au pays, qui luttent pour poursuivre leur éducation supérieure malgré la menace de Daech.« Malgré les frappes de la coalition internationale, Daesh continue à être fort chez nous, en Irak. »
Mgr Mirkis, archevêque venu du nord de l'Irak, Kirkouk, a partagé, lundi 14 mars, les craintes que la situation de son pays lui inspire avec les journalistes de La Vie. « Et même après Daesh, nous ne savons pas s'il n'y aura pas des disputes entre le Kurdistan et l'Irak pour prendre le contrôle de notre région. » Actuellement, les peshmerga protègent la ville, refuge pour de nombreux Irakiens en déroute. « Dans mon diocèse, nous avons accueillis 850 familles depuis deux ans. Mais c'est lourd à porter, c'est long… Certains sont partis en pensant revenir au bout d'un mois ou deux. »
L'archevêque témoigne d'un moral « sapé » mais pas résigné : « Certains endroits de la plaine de Ninive pourraient être gagnés à Daech. Une pression sur les Kurdes et la communauté internationale peut amener la récupération de territoires ! », explique-t-il, le regard insistant.L'université a besoin d'aide
« Kirkouk a l'avantage d'avoir une université arabophone et multiculturelle, souligne Mgr Mirkis. Les jeunes, chassés de chez eux par l'avancée de Daech, sont nombreux à venir chez nous pour pouvoir poursuivre leur éducation supérieure. Ils étaient 70 l'an dernier et sont 400 cette année ! Les nouveaux arrivants viennent de l'université de Mossoul, celle de Tikrit… 10% d'entre eux sont non chrétiens. » Les étudiants sont attirés par le multiculturalisme de la ville : « Nos cours sont en arabe, quand les cours à Erbil sont en kurde, moins parlé. Et nous parlons aussi l'araméen et le turkmène. »
Il ajoute, inquiet : « Si on ne les aide pas, ils perdront une année mais aussi l'espoir de finir leur diplôme. »
Il ajoute, inquiet : « Si on ne les aide pas, ils perdront une année mais aussi l'espoir de finir leur diplôme. »
Pour recueillir les fonds nécessaire pour loger, nourrir et éduquer tous ces réfugiés, le diocèse de Kirkouk en a appelé à la Conférence épiscopale française (CEF). « L’Église de France soutient les étudiants en Irak et veut mobiliser les catholiques par une action commune autour de la prière et la collecte de fonds », explique la CEF sur son site internet. « L’objectif est de fournir logement, nourriture et connexion Internet à une promotion d’étudiants pour un budget total de 1.140.000 euros. Ce projet s’inscrit dans un partenariat entre l’Église de France, représentée par la Conférence des évêques de France, et l’Œuvre d’Orient ». Ainsi, plusieurs diocèses dont celui de Paris, en ont fait une de leurs offrandes de Carême.
Comme il l'a fait ses derniers jours dans plusieurs villes de France, Mgr Mirkis vante la motivation des jeunes : « Nous avons cinq maisons pour les femmes, six pour les hommes. Ils n'ont quasiment pas de place hors de leur lit pour étudier et pourtant, l'an dernier, nous avons eu 100% de réussite ! » L'archevêque est en contact avec des universités de l'Hexagone pour passer des partenariats.L'exil, asséchant le pays
L'archevêque, vis-à-vis de l'exil des Chrétiens d'Orient, martèle – comme il le fait depuis le début de la montée de Daech en Irak – qu'abandonner le pays n'est pas une option :
« Beaucoup nous disent que l'on met des personnes en danger en appelant à rester en Irak. Pourtant, je crois qu'un jeune qui émigre risque d'appartenir à une génération perdue : en Europe, il ne pourra pas étudier, il ne pourra pas devenir médecin, ingénieur... »
Le prélat énumère les chiffres douloureusement : « En 2003, les Chrétiens d'Orient étaient un million et demi. Aujourd'hui, nous serions moins de 400.000… Les deux tiers d'entre nous sont partis en catastrophe, ils sont à Istanbul, Aman, Beyrut. En Europe, les chrétiens d'Orient sont pris dans un tsunami. Certains, arrivés en Allemagne, sont revenus face aux conditions de vie. »
Pourtant, l'archevêque note, désabusé : « L'Occident a ses mirages, la course à la modernité, qui attirent des nouveaux ''boat people'', des milliers de gens qui se lancent à la mer pour mourir de solitude dans vos banlieues. »
Cet exil est d'autant plus dramatique pour l'Irak aux yeux de Mgr Mirkis que les chrétiens sont sources de diversité et de richesse dans la société arabe : « Les chrétiens sont diplômés pour 40% d'entre eux, ils sont lettrés, ils ont construits des hôpitaux, des écoles… »Daech, une secte
Les écoles chrétiennes restent d'ailleurs très prisées en Irak. Pourtant, raconte Mgr Mirkis,
« il suffit d'un employé fanatique pour mettre le bazar. Les fanatiques sont partout, ce sont des cellules dormantes qui peuvent s'éveiller n'importe quand. Nous sommes un peu comme les brebis parmi les loups comme disait Jésus à ses apotres ». Et de déplorer : « Ce n'est pas la loi qui prime, c'est le tribalisme, le fanatisme. »
Les musulmans modérés aident-ils ? « Ils se rendent compte du glissement mais ne savent pas comment l'endiguer. Mais surtout, comment réagir face à une secte ? J'ai acheté un dictionnaire des sectes en France, et Daech en a toutes les caractéristiques. Une religion est un corps, la secte en est le cancer et à voir le monde musulman sombrer, on se demande si la maladie n'a pas pris sur le corps entier. Daech n'est pas seulement aujourd'hui 30.000 combattants mobilisés, c'est un endoctrinement qui a de larges et grandes ramifications. »
Il ajoute, consterné : « Personne dans le monde musulman n'a condamné l'idéologie de Daech. On a condamné les gestes, bien sûr, mais pas l'idéologie… »