Qaraqosh est une ville de 50 000 habitants située dans l’un des berceaux de la chrétienté d’Irak, la plaine de Ninive. Peuplée de chrétiens dans l'immense majorité, elle a pour particularité d’avoir créé sa propre armée : «Le gouvernement ne fait rien pour nous aider, alors nous n’avons d’autre choix que de nous protéger nous même». À Qaraqosh, nous ne sommes plus au Kurdistan, la vie des chrétiens est menacée au quotidien. Cette relative protection pousse les chrétiens irakiens du sud de l'Irak à émigrer vers cette enclave.
Seules 200 familles musulmanes vivent à Qaraqosh. Elles étaient déjà présentes sous Saddam, et font partie intégrante de la ville. Les chrétiens ont confiance en ces familles, mais pour rien au monde ils ne laisseraient s’installer d’autres musulmans dans la ville. C’est interdit. Un livre noir a même été créé pour dénoncer les chrétiens qui vendraient une terre aux musulmans. Un dominicain aime d’ailleurs employer cette phrase pour décrire la relation entre chrétiens et musulmans à Qaraqosh : «Ils se haïssent cordialement…».
Qaraqosh protégée d’une menace réelle
Le danger, à Qaraqosh, ne vient pas de l’intérieur, mais de l’extérieur. Salam, mon traducteur a 25 ans. Étudiant, il se trouvait dans l’un des bus attaqués l’année dernière «C’était le 2 juin 2010. Comme tous les matins, 18 bus partaient de Qaraqosh pour nous emmener à Mossoul dans notre université. Ce jour là, une bombe a explosé. J’ai été gravement blessé au visage, j’ai du être transporté en Turquie pour être soigné». 188 étudiants ont été blessés dans cet attentat. 2 sont morts. De nombreuses voitures piégées ont explosé, et «depuis 2003, 54 personnes à Qaraqosh ont été tuées» constate tristement le père Louis, l’un des prêtres de la ville.
Mossoul, l’une des villes les plus dangereuse d’Irak est à seulement 30 kilomètres, et tout autour de Qaraqosh, des villages sunnites sont présents, infestés de terroristes liés à Al Qaeda. Ce danger permanent explique l’omniprésence d’hommes armés à Qaraqosh. A chaque coin de rue, en face de chaque bâtiment public, des gardes sont postés, arme au point. Ces hommes ne sont ni des militaires, ni des policiers, mais une milice chrétienne «aujourd’hui, 1200 hommes contrôlent Qaraqosh, notamment aux nombreux check points placés aux entrées de la ville. Nous inspectons les voitures de ceux qui n’habitent pas dans la ici» explique Sabah Quslah, l’un des commandants de cette armée.
Cette milice, financée par le professeur Sarkis Aghajan, ancien ministre des Finances du Kurdistan, est épaulée par des policiers irakiens, chrétiens ou musulmans.
Une vie enclavée et difficile
Même si, à Qaraqosh, les chrétiens peuvent exercer leur culte en sécurité (ce qui n’est pas le cas dans le reste de l’Irak), la vie est loin d’être facile pour la communauté. Les premiers touchés sont sans doute les jeunes «Après l’attaque du bus, beaucoup d’étudiants ont eu trop peur d’aller étudier» explique Salam, mon traducteur «Je n’avais plus qu’une année pour terminer ma formation d’ingénieur électrique. Je n’ose plus aller à Mossoul, donc je reste chez moi. Je me lève tard, je suis sur l’ordinateur. Tous mes rêves ont été brisés après cette attaque». Amer, jeune séminariste veut absolument terminer sa dernière année «tous les jours, je prie dans le bus qui m’amène à Mossoul. J’ai peur».
Le niveau de vie est également très bas. Les gardes de la ville ne touchent que 200 dollars par mois, et doivent bien souvent exercer une deuxième activité «mon père est jardinier, en plus d’être garde. C’est le gouvernement qui l’emploie, mais seulement pour 6 mois. Il n’y a pas d’emplois à durée indéterminée ici» explique Salam. En plus des aides financières du Kurdistan et d’hommes tels que Sarkis Aghajan, certaines ONG aident les habitants à construire un véritable petit Etat : «C’est dangereux pour nous de sortir, alors il nous faut tout à l’intérieur : un hôpital, un poste de police, une banque, des écoles» explique un habitant «regardez l’état de ces routes, tout est à construire ici !» ajoute-t-il, révolté.
Plus tard, dans la soirée, je dîne au séminaire avec des futurs prêtres qui semblent confiants. Samedi, veille du dimanche des Rameaux, ils assisteront à la consécration de deux nouveaux évêques, ceux de Kirkouk et Mossoul. «Tu verras, l’église sera pleine à craquer !» s’exclame l’un deux. C’est peut-être ce qui fait la force de cette ville, une croyance démesurée en Dieu, et l’espérance de jours meilleurs. «Avec la chorale, les gens oublient les armes et les attaques». Beaucoup donc, attendent avec impatience la cérémonie.