blog-reportage de Louis Villers
«J’ai quitté le sud de l’Irak après l’assassinat de mon beau frère et des menaces de mort sur ma famille et moi» dit, Laheeb, le regard vide, «je n’avais pas le choix, je ne voulais pas mettre mes deux filles en danger». Aujourd’hui chef d’une entreprise dans le bâtiment, Laheeb ne comprend toujours pas comment tant de haine peut être déchaînée sur les chrétiens, eux qui, depuis 2000 ans, peuplent la terre d’Irak.
«La présence millénaire des chrétiens d’Irak est aujourd’hui menacée»
Il est toujours bon de rappeler que le christianisme est né en Orient, à Jérusalem plus exactement. Après la mort de Jésus, les apôtres ont, par leurs voyages, évangélisé le pourtour méditerranéen et, avec lui, la future terre d’Irak. La présence d’une communauté chrétienne est donc très ancienne dans ce pays, et antérieure à la présence de l’Islam, né en 622 après Jésus-Christ. Bien que les relations entre chrétiens et musulmans aient été ponctuées de guerres et de massacres, une cohabitation a toujours été possible et a contribué à l’essor économique et culturel de l’Orient.
«La vie sous Saddam était meilleure pour nous, continue Laheeb car en dépit du fort contrôle policier, les chrétiens étaient reconnus comme des citoyens à part entière». En effet, ils avaient pour mission, comme les autres Irakiens, de promouvoir le nationalisme arabe, placé par le pouvoir comme une priorité, bien avant celle de la religion. Ainsi, avant d’être chrétiens ou musulmans, les Irakiens étaient des Arabes. Même si, au fur et à mesure de son règne, Saddam Hussein transformera l’Irak en Etat islamique, les chrétiens ont toujours pu exercer leur culte librement, à condition, bien sûr, de rester discret et de ne jouer aucun rôle politique de premier plan.
La chute de Saddam Hussein et la descente aux enfers
L’armée américaine envahit l’Irak le 20 Mars 2003 et plonge le pays dans le chaos de plus total. Il faut cependant attendre plus d’un an après le commencement du conflit, pour constater la première attaque envers un chrétien. Curieusement, dans un premier temps, les chrétiens ne sont pas visés pour leur religion, mais tout simplement parce qu’ils sont considérés – le plus souvent à tort – comme riches. Les nombreux criminels relâchés quelques jours avant la chute du dictateur ont rapidement compris l’intérêt de la prise d’otage pour demander des rançons à la diaspora chrétienne.
Cependant, et en très peu de temps, les crimes crapuleux ont laissé place aux actes fanatiques, donc à connotation religieuse. Des chrétiens sont froidement exécutés dans la rue, devant leur maison ou leur magasin. Des prêtres sont enlevés, battus et torturés. Le 13 octobre 2006, le prêtre Paulos Iskandar est retrouvé décapité à l’est de Mossoul, quatre jours après avoir été enlevé. En plus des assassinats, les attaques à la voiture piégée contre les lieux de cultes se sont elles aussi multipliées.
Mais derrière ces attentats et ces assassinats spectaculaires se cache une véritable campagne de terreur. Dans les universités, des tracts sont distribués invitant à asperger d’acides les étudiantes ne portant pas le voile. «Nous devions payer très cher le droit de pratiquer notre religion explique un chrétien réfugié au Kurdistan; quand nous ne pouvions pas payer, nous devions donner aux extrémistes une femme de notre famille à marier.» Dans la rue, les chrétiens sont menacés et humiliés, leurs magasins sont saccagés.
«Comment, lorsque quotidiennement, votre vie et celle de vos proches sont menacées, ne pas être tenté par la fuite ?» explique ce même chrétien qui ne souhaite pas donner son nom, de peur d’être reconnu par les terroristes. Les musulmans irakiens, choqués par ces pratiques, savent qu’ils subiraient le même traitement s’ils décidaient de s’y opposer.
Pourquoi les chrétiens sont-ils victimes de ces violences ?
Pourquoi la communauté chrétienne irakienne, réputée pour sa discrétion et peu menaçante politiquement est-elle frappée si violemment? Il faut dans un premier temps rappeler que les chrétiens ne représentent qu’une petite minorité en Irak et que par conséquent, leur sort intéresse peu le gouvernement. Très peu d’actions efficaces sont mises en place pour lutter contre ces violences.
Jonson Syawesh Ayo, vice président d’un parti politique kurde réunissant les différents courant chrétiens (Chaldéens, Syriaques, Assyriens) donne plusieurs raisons à ces attaques:
«Les chrétiens sont la seule minorité en Irak qui ne possède pas de milice, ce qui les rend plus vulnérables que les autres.» Installé dans son large fauteuil, il pose sa tasse de thé brûlant et ajoute: «Vous savez, dans presque tous les pays à majorité musulmane, la laïcité n’existe pas. L’état et la religion se confondent. Etant donné que les Américains sont en majorité chrétiens, ceux d’Irak sont assimilés aux Américains, les «croisés», «les envahisseurs» alors qu’ils sont autant irakiens que les musulmans!». Cette assimilation donnent l’impression aux terroristes qu’en touchant les chrétiens d’Irak, ils touchent indirectement les Américains.
Ces attaques sont également le fruit de malheureuses tactiques politiques. Les sunnites, minoritaires, mais au pouvoir sous Saddam Hussein, souhaitent prouver que les chiites, actuellement au pouvoir, ne peuvent assurer la sécurité dans le pays. Ils font donc appel à des organisations telles qu’Al-Qaïda pour réaliser des attentats. Pour Al-Qaïda, qui considère les actions terroristes contre les chrétiens comme «légitimes», ces attaques répondent à deux objectifs à la fois: déstabiliser le gouvernement et chasser les chrétiens.
«Avant que je quitte Basrah, nous étions 1000 familles chrétiennes. Aujourd’hui, nous sommes seulement 400» constate tristement Laheeb. Au volant de sa puissante voiture, il parcourt les rues d’Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil en saluant de nombreux passants. Très impliqué dans la vie religieuse de son quartier, il ne sait pas comment évoluera la situation de la communauté chrétienne dans les prochaines années: «je suis pessimiste pour la suite, l’Irak risque de se vider de ses chrétiens» dit-il, inquiet. J’assisterai demain à un événement qui devrait le rassurer. Son cadre, lui, n’aura rien de rassurant.