By La Croix
« Assez, assez, assez ». C’est par ces mots que Mgr Louis
Sako, évêque de Kirkouk (ville pétrolifère du Nord de l’Irak, réclamée à
la fois par le gouvernement central de Bagdad et les autorités du
Kurdistan irakien autonome) a inauguré dimanche 20 janvier 2013 un tout
nouveau Centre socio-culturel. Destiné à l’organisation de rencontres et
de congrès, ce lieu vise à accueillir « toutes les activités de
l’évêché en faveur de la coexistence harmonieuse » des différentes
communautés composant la province.
Bâti dans un complexe protégé
incluant un jardin d’enfant, un centre sportif et une toute nouvelle
école primaire chrétienne, le centre doit accueillir, dans une dizaine
de jours, une première conférence sur le thème de « La coexistence
pacifique entre les différentes composantes de la ville de Kirkouk ».
Devant
le gouverneur et l’ensemble des responsables de la province, devant le
clergé chrétien et musulman (chiite et sunnite), et alors qu’un nouvel
attentat-suicide en pleine rue avait causé la mort mercredi 16 janvier
de 30 personnes et en avait blessé 185 autres, Mgr Louis Sako s’est
insurgé contre « ce sang versé, ces gens qui pleurent, ces morts innocents… » « On ne voit pas l’horizon », reconnaît-il, visiblement éprouvé par ce regain de violences.
Dimanche
après-midi, il s’est rendu pour une visite de condoléances chez la
famille d’un chrétien décédé dans cette attaque, auprès de sa veuve et
de ses deux enfants de 10 et 7 ans. Jeudi, à la mosquée chiite, il avait
assisté à une veillée organisée en mémoire de deux autres victimes. « Jusqu’à quand devrons-nous attendre ? Quand le Seigneur nous donnera-t-il la paix ? », a-t-il volontairement questionné l’imam.
Les chrétiens, « sel de la terre »
Dimanche,
durant la cérémonie d’inauguration du centre, la chorale chaldéenne a
entonné l’hymne national, suivis de trois chants « para-liturgiques » en
faveur de la paix. « Les gens ont été touchés par cette spiritualité. Ils me disent : vous les chrétiens, vous êtes autre chose »,
a reconnu Mgr Sako, qui appelle volontiers ses fidèles à être ce
« ferment », ce « sel de la terre » cités par les Évangiles.
« Il
faudrait qu’eux aussi fassent pareil. Le problème est qu’ils ne bougent
pas mais attendent toujours que nous prenions l’initiative. Depuis
trois semaines, au lieu de dialoguer, de collaborer entre eux pour le
bien du pays, ils restent chez eux, écrasés ».
À ses yeux, les violences récentes ne sont pas liées aux tensions intra-communautaires à Kirkouk même – « toute la famille de Kirkouk était là »
– mais plutôt aux tensions entre le gouvernement central et le
Kurdistan irakien, et aux tensions très fortes actuelles entre sunnites
et chiites. « Aux musulmans que je vois, je demande : ‘quels sont ces
musulmans capables de tels actes ?’ Eux aussi en ont assez de ce
terrorisme ». Les politiques occidentales « qui ne regardent toujours qu’une moitié du problème, qui n’ont pas de vision globale », portent elles aussi leur part de responsabilité, selon lui.
Essayer jusqu’au bout
Inlassable défenseur du dialogue, Mgr Louis Sako doit reconnaître que beaucoup, en Irak, mais aussi en Égypte, en Syrie, « sont découragés ». « La
situation des réfugiés syriens est misérable, surtout avec cet hiver
très froid. Pourquoi sont-ils obligés de quitter leurs maisons, leur
travail leur famille ? Sans doute y a-t-il une lueur à la fin, mais
comment la voir ? » Lui refuse toutefois de baisser les bras. « Quand on me demande ‘Jusqu’à quand essayer ?, je réponds ‘jusqu’au bout’».
En
décembre, il avait invité le cardinal Leonardo Sandri, préfet de la
Congrégation pour les Églises orientales, en visite en Irak, à venir à
Kirkouk et notamment à s’exprimer dans la grande mosquée de la ville,
située en face de l’évêché.
« Nous ne le savions pas mais tous nos discours étaient retransmis dans la rue, via les haut-parleurs du minaret », raconte Mgr Sako. « Le
cardinal Sandri a redit qu’ensemble, chrétiens et musulmans, devaient
être artisans de paix, que le pape leur demandait de faire le bien de
leurs concitoyens ».
Lundi 21 janvier, l’Église chaldéenne entame les trois jours du jeûne de Ninive, une sorte de « grand Carême national », selon la formule de Mgr Sako. Les Chaldéens vont prier pour la paix, la stabilité du pays, mais aussi pour le synode de leur Église qui doit s’ouvrir à Rome le 28 janvier et qui verra l’élection d’un nouveau patriarche. « Nous avons besoin d’un chef qui nous aide à voir l’avenir, et qui rapproche les gens entre eux », estime l’évêque de Kirkouk.