By La Croix
À l’occasion d’un colloque sur « La vocation des chrétiens d’Orient », qui s’est tenu du 27 au 29 mars à l’Université catholique de Lyon, Sa Béatitude Louis-Raphaël Sako Ier , patriarche de l’Église chaldéenne (unie à Rome), a appelé à « ne pas considérer les chrétiens comme une minorité mais comme des citoyens ». Entretien.
Quelle est la situation de l’Église chaldéenne dont vous avez été élu patriarche il y a un an ?
Sa Béatitude Louis-Raphaël Sako : Les problèmes sont nombreux, mais l’émigration est l’un des plus douloureux. Depuis l’invasion américaine en 2003, le nombre des chrétiens en Irak est passé de 1,3 million environ à peut-être 500 000 aujourd’hui. Au sein de l’Église chaldéenne, 20 prêtres sont partis à l’étranger. Depuis que j’ai été élu au Patriarcat, nous avons nommé trois évêques dans des diocèses qui en étaient dépourvus, je suis allé les installer, les présenter au gouverneur local… C’est un signal important. J’ai aussi installé à Bagdad un conseil pastoral composé de 40 laïcs, hommes et femmes, qui font un travail admirable. Mais nous manquons de prêtres et de religieux. Notre séminaire à Erbil (au Kurdistan irakien) accueille 25 séminaristes, dont certains appartenant à d’autres rites, et c’est insuffisant. Nous avons lancé plusieurs fois des appels à l’étranger pour obtenir des missionnaires, sans recevoir aucune réponse.
À Kirkouk, dans votre ancien diocèse, vous avez entretenu de solides relations avec les responsables politiques et religieux. Parvenez-vous à faire de même comme patriarche ?
L.-R. S. : À Bagdad, les dix écoles chrétiennes accueillent plus d’élèves musulmans que de chrétiens. Le Patriarcat vient d’ouvrir un hôpital dans un quartier chiite, en plus de celui que tiennent les sœurs dominicaines dans le centre-ville : même les responsables du gouvernement viennent s’y faire soigner. J’ai aussi organisé une veillée de prière à la cathédrale avec des prières et des chants des deux traditions : plusieurs musulmans m’ont demandé de recommencer. Quand des imams sunnites ou chiites viennent me voir, nous tombons d’accord sur l’importance du pluralisme, de la présence chrétienne. De notre côté, nous leur disons franchement ce que nous endurons et ils nous respectent pour cela. Les relations individuelles sont excellentes, mais elles sont plus compliquées en public.
Le premier problème est celui de la crise de l’islam, alimentée par ces mouvements fondamentalistes armés, financés par l’étranger, pour qui l’islam est plus une idéologie qu’une religion. Ces fanatiques refusent la présence des chrétiens dans le pays, mais ils représentent aussi un danger pour le reste des musulmans qui ne sont pas d’accord avec eux. Le pays souffre aussi de la lutte pour le pouvoir que se livrent sunnites et chiites. Le confessionnalisme est plus fort qu’auparavant.
Vous avez annoncé votre intention de créer une « ligue chaldéenne ». En quoi consistera-t-elle ?
L.-R. S. : Les partis politiques chrétiens ont échoué, et ils sont très divisés : treize listes s’affrontent pour faire élire cinq députés au Parlement… La ligue chaldéenne serait une association civile, indépendante de l’Église mais en lien avec elle, internationale et composée de laïcs : elle servirait à la fois de caisse de solidarité pour financer un puits, une école, aider les jeunes à se marier, mais aussi de porte-voix, pour faire pression sur le gouvernement, par des condamnations en cas d’attaque, des manifestations, ou tout simplement en vérifiant qu’il tient ses promesses d’embauche de chrétiens par exemple.
Au Liban, lors d’une rencontre entre patriarches orientaux, vous avez appelé à la création d’une cellule de dialogue avec les musulmans modérés « contre les intégrismes »…
L.-R. S. : Tous étaient d’accord avec l’idée de nous unir entre chrétiens d’Orient – sans bien sûr perdre nos particularismes – pour rechercher le dialogue avec les musulmans modérés. Nous pouvons les aider à replacer le texte sacré dans son contexte. Nous pourrions aussi demander des changements de la Constitution sur le modèle de celle que vient d’adopter la Tunisie et qui garantit la liberté de conscience. Les chrétiens ne doivent pas être considérés comme une minorité mais comme des citoyens.
À Rome, lors d’un colloque, vous avez dit souhaiter une déclaration sur la liberté religieuse, sur le modèle de celle du concile Vatican II mais «dans un langage compatible avec l’islam». Quelle forme pourrait-elle prendre ?
L.-R. S. : Un comité de chrétiens et de musulmans pourrait préparer ensemble ce document qui retracerait à la fois nos peurs et nos espoirs et qui reprendrait la magnifique doctrine catholique sur la liberté religieuse. Il s’agirait d’une déclaration solennelle condamnant la violence et donnant à tous, chrétiens et musulmans, la liberté de prêcher leur religion de manière civilisée.
Dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, le pape François a repris cette idée, disant « prier » pour que les pays majoritairement musulmans « prennent en compte la liberté dont les croyants de l’islam jouissent dans les pays occidentaux ». Donnez tous les droits aux musulmans chez vous, mais qu’ils nous donnent aussi le droit de vivre, et non pas de survivre !
À l’occasion d’un colloque sur « La vocation des chrétiens d’Orient », qui s’est tenu du 27 au 29 mars à l’Université catholique de Lyon, Sa Béatitude Louis-Raphaël Sako Ier , patriarche de l’Église chaldéenne (unie à Rome), a appelé à « ne pas considérer les chrétiens comme une minorité mais comme des citoyens ». Entretien.
Quelle est la situation de l’Église chaldéenne dont vous avez été élu patriarche il y a un an ?
Sa Béatitude Louis-Raphaël Sako : Les problèmes sont nombreux, mais l’émigration est l’un des plus douloureux. Depuis l’invasion américaine en 2003, le nombre des chrétiens en Irak est passé de 1,3 million environ à peut-être 500 000 aujourd’hui. Au sein de l’Église chaldéenne, 20 prêtres sont partis à l’étranger. Depuis que j’ai été élu au Patriarcat, nous avons nommé trois évêques dans des diocèses qui en étaient dépourvus, je suis allé les installer, les présenter au gouverneur local… C’est un signal important. J’ai aussi installé à Bagdad un conseil pastoral composé de 40 laïcs, hommes et femmes, qui font un travail admirable. Mais nous manquons de prêtres et de religieux. Notre séminaire à Erbil (au Kurdistan irakien) accueille 25 séminaristes, dont certains appartenant à d’autres rites, et c’est insuffisant. Nous avons lancé plusieurs fois des appels à l’étranger pour obtenir des missionnaires, sans recevoir aucune réponse.
À Kirkouk, dans votre ancien diocèse, vous avez entretenu de solides relations avec les responsables politiques et religieux. Parvenez-vous à faire de même comme patriarche ?
L.-R. S. : À Bagdad, les dix écoles chrétiennes accueillent plus d’élèves musulmans que de chrétiens. Le Patriarcat vient d’ouvrir un hôpital dans un quartier chiite, en plus de celui que tiennent les sœurs dominicaines dans le centre-ville : même les responsables du gouvernement viennent s’y faire soigner. J’ai aussi organisé une veillée de prière à la cathédrale avec des prières et des chants des deux traditions : plusieurs musulmans m’ont demandé de recommencer. Quand des imams sunnites ou chiites viennent me voir, nous tombons d’accord sur l’importance du pluralisme, de la présence chrétienne. De notre côté, nous leur disons franchement ce que nous endurons et ils nous respectent pour cela. Les relations individuelles sont excellentes, mais elles sont plus compliquées en public.
Le premier problème est celui de la crise de l’islam, alimentée par ces mouvements fondamentalistes armés, financés par l’étranger, pour qui l’islam est plus une idéologie qu’une religion. Ces fanatiques refusent la présence des chrétiens dans le pays, mais ils représentent aussi un danger pour le reste des musulmans qui ne sont pas d’accord avec eux. Le pays souffre aussi de la lutte pour le pouvoir que se livrent sunnites et chiites. Le confessionnalisme est plus fort qu’auparavant.
Vous avez annoncé votre intention de créer une « ligue chaldéenne ». En quoi consistera-t-elle ?
L.-R. S. : Les partis politiques chrétiens ont échoué, et ils sont très divisés : treize listes s’affrontent pour faire élire cinq députés au Parlement… La ligue chaldéenne serait une association civile, indépendante de l’Église mais en lien avec elle, internationale et composée de laïcs : elle servirait à la fois de caisse de solidarité pour financer un puits, une école, aider les jeunes à se marier, mais aussi de porte-voix, pour faire pression sur le gouvernement, par des condamnations en cas d’attaque, des manifestations, ou tout simplement en vérifiant qu’il tient ses promesses d’embauche de chrétiens par exemple.
Au Liban, lors d’une rencontre entre patriarches orientaux, vous avez appelé à la création d’une cellule de dialogue avec les musulmans modérés « contre les intégrismes »…
L.-R. S. : Tous étaient d’accord avec l’idée de nous unir entre chrétiens d’Orient – sans bien sûr perdre nos particularismes – pour rechercher le dialogue avec les musulmans modérés. Nous pouvons les aider à replacer le texte sacré dans son contexte. Nous pourrions aussi demander des changements de la Constitution sur le modèle de celle que vient d’adopter la Tunisie et qui garantit la liberté de conscience. Les chrétiens ne doivent pas être considérés comme une minorité mais comme des citoyens.
À Rome, lors d’un colloque, vous avez dit souhaiter une déclaration sur la liberté religieuse, sur le modèle de celle du concile Vatican II mais «dans un langage compatible avec l’islam». Quelle forme pourrait-elle prendre ?
L.-R. S. : Un comité de chrétiens et de musulmans pourrait préparer ensemble ce document qui retracerait à la fois nos peurs et nos espoirs et qui reprendrait la magnifique doctrine catholique sur la liberté religieuse. Il s’agirait d’une déclaration solennelle condamnant la violence et donnant à tous, chrétiens et musulmans, la liberté de prêcher leur religion de manière civilisée.
Dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, le pape François a repris cette idée, disant « prier » pour que les pays majoritairement musulmans « prennent en compte la liberté dont les croyants de l’islam jouissent dans les pays occidentaux ». Donnez tous les droits aux musulmans chez vous, mais qu’ils nous donnent aussi le droit de vivre, et non pas de survivre !
Un défenseur du dialogue interreligieux
Né à Zakho (nord de l’Irak), Louis Sako a été ordonné prêtre de l’Église chaldéenne en 1974 et élu archevêque de Kirkouk en 2002. Le 1er février 2013, il est devenu patriarche de Babylone des chaldéens, à la suite de la démission du cardinal Emmanuel Delly. Ancien étudiant de l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie, il a reçu en 2008 le prix Defensor Fidei et le prix Pax Christi en 2010 pour son engagement au service du dialogue interreligieux. Il est membre de la Congrégation pour les Églises orientales.
Propos recueillis par Anne-Bénédicte Hoffner
Né à Zakho (nord de l’Irak), Louis Sako a été ordonné prêtre de l’Église chaldéenne en 1974 et élu archevêque de Kirkouk en 2002. Le 1er février 2013, il est devenu patriarche de Babylone des chaldéens, à la suite de la démission du cardinal Emmanuel Delly. Ancien étudiant de l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie, il a reçu en 2008 le prix Defensor Fidei et le prix Pax Christi en 2010 pour son engagement au service du dialogue interreligieux. Il est membre de la Congrégation pour les Églises orientales.
Propos recueillis par Anne-Bénédicte Hoffner