Depuis plus de deux semaines, je parcours le nord de l’Irak à la rencontre des chrétiens, qui depuis 2003, sont victimes d’une véritable épuration religieuse de la part d’islamistes extrémistes. Jamais l’exode des chrétiens d’Irak n’avait été aussi important. Aujourd’hui, leur présence dans cette région est sérieusement menacée. Les rencontres et les articles de ce reportage sont autant de témoignages et d’analyses sur une situation complexe semblant parfois désespérée. Ce dernier article est l’occasion de se poser la question de l’avenir de ces chrétiens, mais surtout, de relayer des idées dont l’objectif est commun: ne pas voir disparaître une communauté présente depuis 2000 ans en Irak.
Le sombre avenir des chrétiens en Irak
 
La situation des chrétiens d’Irak est aujourd’hui très délicate. Tous  les jours, dans les grandes villes du pays (Bagdad, Mossoul, Basrah,  Kirkouk) ils sont victimes de persécutions. Dimanche dernier, le jour de  Pâques, une bombe a explosé aux abords d’une église catholique de  Bagdad, blessant quatre personnes, preuve que la persécution  s’intensifie. 
Nous l’avons vu, tout au long de ce reportage, la seule  solution qui s’offre aujourd’hui aux chrétiens d’Irak est la fuite, à  l’étranger ou au Kurdistan irakien. Dans cette région du nord de l’Irak,  ils trouvent la sécurité et de nombreux proches, réfugiés eux aussi  dans des villes ou quartiers devenus chrétiens (Ankawa, Qaraqosh…). Mais  cette sécurité ne permet pas aux chrétiens d’envisager un avenir  positif dans cette région. Quittant la ville pour des petits villages,  ils ne s’habituent pas à leur nouveau mode de vie.
Les emplois sont inexistants, et l’espoir d’un retour vers leur ville  abandonnée ou d’un départ vers l’occident rend leur intégration  difficile. 
La situation des chrétiens est d’autant plus compliquée que  l’avenir du Kurdistan irakien n’est pas à l’abri de conflits avec le  départ des troupes américaines du sol irakien, les révoltes actuelles à  Souleymanieh ou encore les permanentes tensions entre le PKK et la  Turquie. Dans ce contexte incertain, les responsables de la communauté  chrétienne tentent tout pour ralentir la fuite des chrétiens d’Irak.  Parmi les nombreuses initiatives proposées l’une d’entres-elles mérite  d’être détaillée : la création d’une région autonome gérée par et pour  des chrétiens. 
 
La plaine de Ninive, future région autonome chrétienne?
Confortablement assis dans son large fauteuil, M. Aziz,  président du Conseil populaire des Chaldéens, Syriaques et Assyriens me  détaille les raisons de ce projet : «Après l’invasion des américains,  l’Irak est devenu un état fédéral. Une communauté ou une région peut  demander son autonomie et se doter d’un parlement, de lois et d’une  sécurité interne, à l’image du Kurdistan Irakien» m’explique-t-il. «Etant donné que les chrétiens ne sont protégés ni par le gouvernement ni  par les milices, la création de cette région est la seule alternative  possible pour que nous puissions vivre en paix en Irak, et que nous  cessions de nous sentir étrangers dans notre propre pays» confirme  Khalis Stefo, l’un des deux députés chrétiens du parlement Irakien qui  soutient le projet. Cette région serait située dans le nord du pays,  plus précisément dans la plaine de Ninive, l’un des berceaux du  christianisme en Irak. «l’idée n’est pas de créer un “Christian Land”,  car toutes les communautés pourront y vivre, mais d’instaurer une région  dans laquelle les chrétiens seront reconnus et défendus par les lois et  les armes» , ajoute ce même député.
Pour le moment, le projet semble très vaguement soutenu par des  responsables politiques européens et vu d’un mauvais œil par Bagdad.  Même au sein de la communauté chrétienne, l’idée ne fait pas  l’unanimité. «C’est un projet à double tranchant», explique le père  Nageeb qui a dû fuir Mossoul il y a quatre ans avec le reste de son  couvent. «D’un côté, nous n’avons pas le choix, de l’autre, le replis  identitaire n’a jamais été bon pour une communauté», se justifie-t-il.  Espoir pour certains, bombe à retardement pour les autres, la région  n’est cependant pas prête de voir le jour, tant les obstacles politiques  sont nombreux.
 
Ce que les chrétiens d’Irak attendent de l’Occident
Si les chrétiens d’Irak ont répondu avec tant de sincérité à mes  questions malgré le risque que cela pouvait parfois représenter, c’est  qu’ils avaient un message à transmettre. Tous, dans un premier temps,  sont unanimes sur un point : il faut que les chrétiens d’Irak restent en  Irak.
«La décision de la France d’accueillir des chrétiens après les  attaques est respectable, mais elle ne fait que nous affaiblir encore  plus sur place», s’insurge Salim Oufi, président du conseil des  notables de Qaraqosh village chrétien proche de Mossoul. Le frère  Nageeb, lui aussi installé à Qaraqosh, propose une autre alternative: «Si l’Occident veut faire quelque chose d’utile, il peut accueillir nos  étudiants, un an ou deux, pour qu’ils se forment et reviennent au pays  avec un savoir faire.»
Cette idée est largement soutenue par la communauté chrétienne, à  condition, cependant d’avoir des offres d’emplois. «Nous avons beaucoup  d’étudiants diplômés, mais ils restent à la maison sans rien faire car  il n’y a pas de travail», regrette Waadulla, professeur d’anglais,   «alors au lieu de nous envoyer de l’argent, qui ne fait que favoriser  l’assistanat, installez vos entreprises en Irak et faites travailler les  chrétiens!». En plus de ces demandes matérielles, les demandes  spirituelles sont aussi souhaitées. «Nous avons souvent l’impression  d’être seuls dans notre calvaire, d’êtres des étrangers dans notre  propre pays», explique Yalda, jeune chrétien, «alors quand nous voyons  des manifestations de soutien à travers le monde, même si elles ne  changent pas directement notre situation, elles nous confortent, et nous  poussent à rester sur notre terre natale».
Ainsi, l’initiative de Babel Tour, une agence de voyage qui propose à  des pèlerins de voyager en Irak pendant les fêtes chrétiennes prend tout  son sens: «Nous montrons aux chrétiens d’Irak que nous pouvons aller à  leur rencontre, qu’ils ne sont pas isolés et laissés à la dérive,  qu’ils sont nos frères» explique le père Claude Bressolette,  l’accompagnateur du groupe de 15 personnes qui a sillonné le Kurdistan  pendant la semaine sainte. 
Comment conclure un tel reportage, alors  que la situation des chrétiens d’Irak n’a jamais été aussi critique et  incertaine ? La tâche n’est guère aisée. Chaque départ d’un chrétien  vers l’occident est une perte pour la communauté, une victoire pour le  fanatisme religieux. Plusieurs fois, j’ai proposé aux chrétiens  interviewés de finir l’entretien sur une note positive. Rares sont ceux  qui en ont trouvé l’inspiration et l’envie. Quelques uns, cependant, ont  tenté de se consoler en m’interrogeant à leur tour: «Qu’est-ce qui  est le pire selon toi, un peuple martyrisé qui croit en Dieu  profondément, ou des églises françaises qui se vident de semaine en  semaine?» . «Je ne sais ce qui me rend le plus triste», dit doucement  Sabah, chrétien d’Irak.
 
