Entre la consécration de deux évêques chaldéens catholiques à Qaraqosh, samedi matin, et la célébration du dimanche des Rameaux hier, ce premier week-end passé en Irak a été pour moi l’occasion de prendre conscience de la foi chevillée au corps des chrétiens d’Irak. Retour sur ces deux moments forts du week-end et les questions qui me hantent: comment une telle foi est-elle possible et quelles sont les menaces qui planent sur elles ?
«Ce n’est pas en France que tu verrais ça!» Samedi matin, à Qaraqosh, le ciel bleu contraste avec le gris orangé des épais nuages de poussières qui ont balayé le nord de l’Irak la semaine dernière. Il n’est pas encore 8h, mais déjà, le traditionnel silence du séminaire est perturbé par l’effervescence de ses étudiants «aujourd’hui, ce n’est pas un jour comme les autres, c’est une grande fête!» s’exclame Amer, les bras chargés de cierges. Deux prêtres chaldéens vont être nommés évêques de Bagdad et Qaraqosh, deux villes irakiennes qui ont subi de nombreuses violences ces dernières années. Peu avant 10h, les fidèles affluent par centaines dans l’église de l’Immaculée Conception, l’une des plus grandes églises d’Irak. Ils ne semblent pas faire attention aux mesures de sécurité imposantes déployées autour de l’édifice: routes bloqués, camions militaires et dizaines d’hommes armés. Les chants, les applaudissements, et les youyous traditionnelles des femmes arabes rendent cette messe vivante et joyeuse.
La chorale, composée d’hommes et de femmes élève de puissants «Alleluia». Seuls les portraits des deux prêtres tués à Bagdad en octobre dernier rappellent que nous sommes en Irak, et qu’ici, croire est un choix de vie difficile. Trois heures plus tard, prêtres et évêques sortent de l’église suivis de l’assistance. Tous les prennent en photo et viennent leur serrer la main. Chacun se dirige alors vers une grande salle qui accueillera tous les fidèles pour le déjeuner.
«Alors Louis, comment tu l’as trouvée cette messe? Je suis sûre que c’est autre chose qu’en France!» m’interpelle en français, sœur Elisabeth. De petite taille, sa voix aigue, ses grandes lunettes et son dynamise me rappellent sœur Emmanuelle. «Allez, viens, on va déjeuner continue-t-elle en me prenant la main, yalla, yalla!». La ressemblance est décidément troublante.
Dans les villages, messes matinales et processions
Dimanche matin, à 6h45, l’ambiance est toute autre. Nous revoilà au Kurdistan, à l’extrême nord de l’Irak. Seuls une vingtaine de kilomètres nous séparent de la Turquie. Il fait jour depuis peu de temps, et monseigneur Rabban a déjà fait sonner les cloches. L'évêque connaît parfaitement sa région. Il y est né, est devenu prêtre en 1973 et évêque en 2002. Il a tout connu, des bombardements à l’exode des chrétiens. A peine réveillé, je suis surpris de voir la chapelle si remplie. Aux premiers rangs, les hommes portent le traditionnel turban kurde, au fond de l’église, les femmes sont voilées. Tous ont un rameau dans la main. La chorale hésitante fait rire les enfants.
Monseigneur Rabban prend le temps de stopper sa lecture en araméen, la langue de Jésus, pour m’expliquer en Français la signification de cette messe: la foule brandissant des rameaux pour acclamer Jésus au portes de Jérusalem. La messe à peine terminée, Monseigneur Rabban monte dans son 4x4 et fonce vers Araden, où il anime la messe de 9h. Les habitants de ce petit village d’une soixante de maisons, coincés entre les montagnes Mateen et Gara et les anciens palais de Saddam Hussein ont préparé une grande procession. Comme tous les dimanches des rameaux et jours de Noël, ils passent, en chantant, de maisons en maisons et récoltent noix, bonbons, fruits pour les enfants. Grands et petits sont présents. De 12h à 18h, ils marcheront et chanteront, sans cesse.
Comment une telle foiest-elle possible?
Ces ambiances n’ont rien d’exceptionnel, ici, en Irak. Tous les dimanches, cette ferveur se répète. Quand je demande à Benham, serviteur de l’église qui a quitté Bagdad en 2003 pour s’installer dans ce petit village, d’où vient cette forte croyance, il répond sans hésiter «quand un peuple est persécuté, vit des temps difficiles, il est normal qu’il se tourner vers son Dieu. Parfois, nous n’avions plus que lui vers qui nous tourner.»
L’avis de monseigneur Rabban diverge «je pense que c’est un problème de gouvernance. En France, ceux qui prennent des décisions, les politiques, ne croient plus en Dieu. Le divorce, les mariages gays, les petites copines ou petits copains sont devenus des choses normales. Je suis sûr, maintenant, que chez vous, les gens ont honte de faire un signe de croix dans le train. La religion n’est plus qu’un reste en France, ce n’est pas le cas en Irak» puis ajoute «la plupart des gens que vous voyez à la messe, ici, ne savent ni lire, ni écrire. Ils lisent dans les cœurs. Ils ne sont pas docteurs ou ingénieurs. Ils savent juste que Jésus les aime, et qu’ils aiment Jésus. Ils chantent, et ils n’ont pas besoin de savoir plus.»
Pendant la procession, Akram, employé de l’église du village me propose de m’emmener, en voiture, voir les églises aux alentours. J’accepte, heureux d’échapper quelques minutes à l’interminable procession. Il me montre Nashmoni et Makadotkht, deux vieilles églises du IVe siècle dont l’une a été endommagée par un bombardement en 1961. Fatigué lui aussi, il se pose à la terrasse d’un petit restaurant, au bord de la route. La chaleur, le calme et les montagnes donnent à la situation un air provençal. Loin des prêtres et des habitants du village, il semble enfin se livrer «vous savez, ici, il n’y a aucun futur» soupire-t-il en remuant son thé.
«Pas de futur», ces mots reviennent régulièrement dans les bouches de ces chrétiens du nord de l’Irak. Car après la fuite des dangers de Bagdad et Mossoul et leur réconfort immédiat, un grand nombre de difficultés font face aux nouveaux arrivants. Ces difficultés, je les découvrirai demain, lors de la visite de ces villages. Chômage, tentation du départ vers l’Europe, adaptation à la vie rurale, elles sont nombreuses. Tout est mis en place par l’Eglise, les ONG et le gouvernement pour qu’ils restent en Irak.
Mais ces mesures sont elles suffisantes et adaptées? Ne risquent-elles pas de ghettoïser encore plus la fragile communauté? Réponses dans le prochain article.