Le photographe Pascal Maguesyan a dirigé la publication d’un album photo montrant la richesse du patrimoine chrétien en Mésopotamie, et l’ampleur des destructions commises par Daech. Certains de ces monuments sont déjà en reconstruction.
La présence chrétienne en Irak est menacée. Par ce livre, vous avez voulu retracer l’histoire qui lie les chrétiens à la Mésopotamie depuis les premiers temps de l’Eglise: le patrimoine chrétien est une part essentielle de la richesse culturelle de cette région?
Pascal MAGUESYAN.- Le christianisme s’est implanté en Mésopotamie au premier siècle, c’est-à-dire au siècle de Jésus-Christ! Notamment sous l’impulsion de l’un des douze apôtres, Thomas, qui est parti en mission jusqu’en Inde en traversant toute la Mésopotamie. C’est lui le premier à avoir sensibilisé les communautés de la région à la parole chrétienne, et autour de lui se sont constituées les premiers groupes de chrétiens.
L’Église qui aujourd’hui revendique la paternité de Saint Thomas est l’Église apostolique assyrienne de l’Orient, qu’on appelle parfois, tout simplement, Église de l’Orient, ou encre Église nestorienne, du nom du patriarche Nestorius qui fut jugé hérétique par Rome. Renvoyé dans son monastère à Antioche, puis exilé en Haute Égypte, sa théologie imprégna l’Église de l’Orient en Mésopotamie.
Cette Église fut, jusqu’au temps des croisades, la plus répandue du monde puisqu’elle est allée évangéliser jusqu’en Chine! Les plus curieux pourront lire les travaux de l’historien Sébastien de Courtois, qui est l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de cette communauté chrétienne. Paradoxalement, aujourd’hui, ce n’est plus qu’une petite communauté chrétienne. Elle est autocéphale et possède son propre patriarche.
On compte 400 000 chrétiens d’Irak environ alors qu’ils étaient probablement 1,5 million encore en 1991.
Le reste des chrétiens d’Irak (on en compte 400 000 environ, toutes confessions confondues, alors qu’ils étaient probablement 1,5 million encore en 1991) forme un paysage assez complexe.
Il y a l’Église chaldéenne, née au XVIe siècle d’un schisme: ce sont des chrétiens de l’Église d’Orient qui ont choisi de rejoindre Rome. Ils sont les plus nombreux. Il y a aussi l’Église syriaque orthodoxe, qui est une église antiochienne répartie également entre la Syrie et la Turquie.
Puis l’Église arménienne, qui n’est pas autochtone car ses fidèles ne sont pas natifs d’Irak et ne parlent pas le syriaque mais l’arménien. On les trouve essentiellement à Bagdad, et dans quelques villages du Kurdistan irakien. Enfin, quelques petites églises viennent s’ajouter au tableau: grecque orthodoxe, copte, et quelques évangéliques.
Mais parmi les minorités religieuses de la région, il faut dire un mot aussi des Yézidis, qui sont particulièrement menacés depuis le XIXe siècle. Ils étaient peut-être 800 000 en Irak avant le début de ces catastrophes, aujourd’hui leur nombre a diminué de moitié. Ils ont fait l’objet d’une violence particulière, un véritable génocide de la part de Daech.
Les djihadistes ont investi en très peu de temps notamment le massif montagneux de Sinjar où ils vivaient et se sont livrés à des massacres de type génocidaire: on retrouve encore aujourd’hui des charniers, des associations recensent les témoignages de ce génocide. Plusieurs milliers de jeunes femmes yézidies (peut-être 3 000) ont été kidnappées et se retrouvent aujourd’hui esclaves sexuelles dans des clans islamistes en Irak et dans des pays voisins.
On essaie depuis la victoire militaire contre Daech en juillet 2017 de les racheter…
Il faut aussi souligner que leur patrimoine a été systématiquement détruit à l’explosif. Les Yézidis ont toujours été considérés comme des «adorateurs du diable», et particulièrement par les islamistes. Leurs vergers d’oliviers à Baashiqa et Bahzani, dans la plaine de Ninive, avec 90 000 arbres, grâce auxquels ils produisaient l’huile sacrée, ont été incendiés par Daech. La barbarie à leur endroit n’a connu aucune limite.
Quelle est l’ampleur des destructions causées par Daech sur le patrimoine religieux de cette région?
C’est très simple: dans toutes les régions passées sous le contrôle de Daech, toutes les églises ont été vandalisées, pillées voire brulées. 100 % d’entre elles ont été profanées. Certaines ont été en partie détruites. Cela concerne la plaine de Ninive et Mossoul en particulier, où les destructions ont été très importantes.
C’est là que se concentrait, dans la vieille ville, la plupart du patrimoine de ces églises. L’intention de Daech, au-delà des pillages, était de détruire le plus possible. Mais il n’a pas eu le temps d’arriver au bout de son projet, heureusement. Par exemple, l’église syriaque-catholique Mar Touma à Mossoul devait être détruite à l’explosif mais les djihadistes n’ont pas eu le temps de passer à l’acte.
Un tiers seulement des ces chrétiens sont revenus
Quelles impressions vous sont venues, tout au long de ce reportage, à la vue de tant de ruines?
Plusieurs mêlés, sans les hiérarchiser. D’abord un état de choc devant l’ampleur des destructions. Ensuite la conscience intime que Daech, dans le fond, ne voulait pas simplement détruire des communautés, ou les contraindre à l’exode ou les soumettre, mais aussi détruire jusqu’au fondement même de leur identité, en annihilant leur patrimoine et tout ce qui permet à ces communautés de s’enraciner dans une histoire profonde et lointaine.
Cela a été un choc de constater que le but était de détruire une civilisation. J’ai été impressionné aussi de voir à quel point les Irakiens sont amoureux de leur patrimoine. Ils sont pris conscience de sa valeur, précisément parce que Daech s’y est attaqué.
C’est beau de voir à quel point les églises locales y sont désormais attachées, à quel point les chrétiens sont fiers et heureux de nous montrer les édifices dans lesquels ils prient, malgré l’ampleur du vandalisme commis.
Les chrétiens aspirent à présent à la stabilité.
On est émerveillé, à la vue de vos photos, par le sens de la fête et la beauté de la liturgie chez ces communautés…
Oui, c’est l’une de leurs grandes forces: la pudeur face à la catastrophe, et leur capacité à surmonter ces drames. Malgré l’exode et les pertes patrimoniales, malgré les autodafés de livres c’est fascinant de voir à quel point ces communautés, même exilées, parviennent à reconstituer et à revivifier leur essence culturelle et spirituelle.
Mais un tiers seulement des ces chrétiens sont revenus, et un autre tiers vit encore dans le Kurdistan d’Irak, sous un statut de déplacé, et le dernier tiers s’est exilé à l’étranger.
Le patrimoine n’a pas entièrement été restauré mais une partie déjà l’a été. Si ces communautés ne parviennent pas à retrouver les sources économiques de leur survie, alors ils ne pourront pas rester. Le travail de restauration du patrimoine permettra de stabiliser les communautés, qui doivent refaire souche.
Il faudra parfois du temps: à Mossoul, seule une cinquantaine de familles sont revenues. Il faut que les efforts politiques et économiques convergent de manière positive pour que les chrétiens reviennent en toute tranquillité. Ils ont besoin d’un cadre sécuritaire, car plus que toute autre communauté, ils sont minoritaires et donc fragiles. Ils ne sont pas agressifs, ils n’aiment pas prendre les armes même si parfois ils y ont été contraints. Mais ils aspirent à présent à la stabilité.