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13 maggio 2021

En Irak, l'histoire engloutie par le désert, les pluies et la gabegie de l'Etat

By Challenges

L'église Al Aqiser. Photo As-Sharq al-Awzat
Dans le désert, l'une des plus vieilles églises du monde s'effrite: après la venue du pape, les Irakiens ont rêvé de touristes et de bus de tour-opérateurs, mais dans un pays meutri par des années de guerre, les vestiges disparaissent dans l'indifférence.
A Aïn Tamer, au sud-ouest de Bagdad, il ne reste de l'église Al Aqiser, vieille de plus de 1.500 ans, que des murs de terre rouge à demi-écroulés.
Pour l'archéologue Zahed Mohammed, ce délabrement s'explique par "les conditions climatiques, le fait que cet endroit a été transformé en champ de tirs militaires sous Saddam Hussein et par l'absence de rénovations régulières".
"Un tel entretien réclame énormément d'argent mais nous ne recevons que de maigres enveloppes", rétorque Raëd Fadhel, maire d'Aïn Tamer.
A 60 kilomètres plus à l'est, les sanctuaires chiites de Kerbala attirent chaque année des millions de pèlerins.
Autant de visiteurs potentiels pour les cités mésopotamiennes, églises antiques et autres "ziggourat" babyloniennes, si l'Etat entretenait et assurait la publicité de ces lieux, se lamentent habitants et responsables.
En fait, assure à l'AFP Abdallah al-Jlihaoui, qui habite la province voisine de Diwaniya, "les étrangers s'occupent plus de notre patrimoine que nous".
Mais des étrangers, cela fait longtemps que Diwaniya n'en a pas vu. - Investissements vitaux - "Jusque dans les années 80, une université américaine fouillait ici. Nos parents et grands-parents ont travaillé dans ces chantiers, mais tout s'est arrêté" avec l'embargo international décrété en 1991 contre le régime de Saddam Hussein, soupire-t-il.
Le gouverneur Zouheir al-Chaalane recense plus de 2.000 sites et voit dans chacun d'eux une possibilité d'amorcer le décollage économique que les Irakiens attendent toujours près de 20 ans après l'invasion américaine qui promettait démocratie et prospérité.
Parmi ces sites se trouve Nippur, qui, avec ses temples, ses bibliothèques et ses palais, était il y a 7.000 ans un des principaux centres religieux des Akkadiens, et plus tard des Babyloniens. "Investir dans ces sites créerait des emplois dans notre province où les opportunités d'investissement sont rares", affirme à l'AFP M. Chaalane.
Le taux de pauvreté a doublé en Irak en 2020, à 40%.
Comme d'autres, il a vu une lueur d'espoir dans la venue d'une mission archéologique italienne au début de l'année.
Puis dans celle du pape François, qui a sillonné l'Irak, se rendant notamment à Ur, cité natale d'Abraham proche de Diwaniya.
 De quoi redonner des couleurs à un patrimoine qui a fondu entre vol, contrebande ou démolitions par les jihadistes qui jugent toute forme d'art hérétique.
 Mais même si de nouveaux sites étaient mis au jour ou réhabilités, "où iraient les touristes?", s'interroge M. Jlihaoui. "Il n'y a rien de prévu pour eux: la route n'a pas été goudronnée depuis les années 80, les poteaux électriques datent des années 70", énumère-t-il dans un pays qui subit pénuries de courant et d'eau potable depuis des décennies.

- Urgence climatique -
 Pour Mohammed Taha, qui vit à Kirkouk, dans le centre de l'Irak, "ni les autorités, ni même des organismes privés ne font quoi que ce soit pour le patrimoine".
 Il en veut pour preuve la "qechla", citadelle ottomane au dôme autrefois turquoise.
Aujourd'hui, des carreaux de mosaïque sont tombés et des pans entiers de murs menacent de s'écrouler.
 La citadelle vieille de 3.000 ans s'écroule, éloignant un peu plus ses chances de se maintenir, avec Nippur, dans la liste indicative pour entrer au patrimoine mondial de l'Unesco.
 La faute aux pluies, denses et fréquentes dans cette région montagneuse, assurent les autorités locales.
 Partout en Irak, l'un des pays les plus menacés par le changement climatique, la question environnementale est vitale.
 A terme, la désertification galopante dans le pays --déjà à 50% désertique-- menace la vie.
Elle a déjà signé la mort de ruines mésopotamiennes et même de constructions plus récentes.
 "Dans les années 60, 70 et 80, les ruines étaient protégées par la ceinture verte", affirme à l'AFP M. Jlihaoui. Les arbres qui faisaient barrage au vent ont été brûlés, arrachés par les obus des guerres à répétition ou coupés pour faire place à des villes à la construction anarchique.
La fraîcheur qu'apportait leur feuillage a disparu tout comme les digues que constituaient leurs racines. Les températures ont augmenté de quelques degrés, ce qui est néfaste pour les habitants car au-delà de 50 degrés, les tempêtes de sable se sont multipliées et les pluies d'hiver sont devenues plus denses. Autant d'agressions contre des ruines faites de briques. Des poussières qui après avoir fait les cités mésopotamiennes... redeviennent poussières.