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8 febbraio 2021

« J’espère que la voix du pape aidera les Irakiens à choisir la paix »

By La Croix
Loup Besmond de Senneville

Grand maître de l’Ordre du Saint-Sépulcre, au Vatican et ancien nonce en Irak entre 2001 et 2006, le cardinal Fernando Filoni revient sur les grands enjeux du voyage de François en Irak, prévu du 5 au 8 mars.


La Croix : Qu’attendez-vous de ce voyage?
Fernando Filoni : J’espère qu’il se fera. Il serait l’accomplissement d’un désir inaccompli, émis par plusieurs papes depuis Jean-Paul II, renouvelé par le pape François après l’exode de la plaine de Ninive et de Mossoul lorsque, en 2014, des milliers de chrétiens se sont enfuis au Kurdistan. Comme envoyé spécial du pape, en 2014 et en 2015, je me souviens que ces gens sont partis sans rien. Ils ont subi une violence inouïe, ont été humiliés, personne ne les a défendus. Cependant, j’ai été impressionné par leur courage. Ils se sont tout de suite organisés pour boire, manger, aider les anciens. Même s’ils portaient en eux de l’amertume. Beaucoup d’amertume. Mais les chrétiens ont dans ce pays une noblesse d’âme qui tient au fait qu’ils ont su conserver leur foi et leur langue, très proche de celle parlée par le Christ.
Et au-delà des chrétiens?
 F. L. : Cette visite est un signal envoyé à tout un pays. Pour le pape, il s’agit de témoigner que cette terrible situation créée par le conflit de 2003 pouvait être évitée. Ce conflit, illégitime et inopportun, a été la mère de tous les conflits et de toutes les formes de terrorisme qui ont suivi. Le pape enverra sans doute également un signe à la minorité yézidie. Ils ont traversé d’immenses souffrances dont j’ai été le témoin : les hommes et les enfants tués, les femmes vendues comme esclaves pour 20 dollars sur le marché. Si elles avaient des cheveux blonds et des yeux bleus, elles valaient plus. La haine des yezidis est générée par une fausse accusation, selon laquelle ils sont des adorateurs du diable. Enfin, ce sera une occasion d’encourager le dialogue entre chrétiens, musulmans et les autres minorités présentes dans le pays, dont le fondement est la compréhension réciproque.
Cette compréhension n’existe-t-elle pas aujourd’hui?
F. L. : Les gens vivent ensemble, plus ou moins. Mais il y a des préjugés très fortement ancrés. Lorsque l’on enseigne aux enfants que les chrétiens et les juifs sont des koufars (des infidèles, NDLR), il est évident que le dialogue ne peut pas exister par la suite. Le dialogue doit advenir entre croyants de différentes religions, mais également entre musulmans, en particulier entre chiites et sunnites. Sans doute la visite du pape peut-elle encourager cette forme d’œcuménisme intra-musulman.
Quels effets la visite du pape peut-elle avoir?
F. L. : J’espère que la voix du pape aidera les Irakiens à choisir la paix. Choisir la paix, j’insiste. Il ne suffit pas de dire que l’on aimerait bien la paix. Au temps de Saddam Hussein, ce pays a choisi de dépenser de l’argent pour se procurer des armes. Puis, on les a utilisées… Si l’on avait utilisé tout l’argent du pétrole pour choisir la paix, et financer le développement, ce pays n’en serait pas là aujourd’hui.
Comment encourager les chrétiens déjà partis à revenir en Irak?
F. L. : Il faut être réaliste. Les gens qui se sont vraiment installés à l’étranger reviendront difficilement. Mais il y a des milliers de personnes, qui vivent surtout en Jordanie et au ­Liban, et qui sont prêts à revenir. Mais pour cela, ils ont besoin d’une société stable et pacifiée. Et ceux qui sont encore là, ont eux aussi besoin de paix et de travail. En Irak, lorsque j’encourageais les gens à rester, ils me répondaient toujours : « Et vous, si vous aviez un fils, après toutes les guerres que nous avons connues, le chômage, toutes ces morts, est-ce que vous continueriez à l’élever ici ou est-ce que vous l’aideriez à construire son avenir dans un pays où il pourrait vivre dignement et en paix ? »
Comment faire pour y arriver?
F. L. : Il est nécessaire que les lois envers les minorités soient équitables. Le droit ne peut être fondé sur l’islam ou la charia. Les lois doivent imposer le respect des droits de tous, pas seulement de la majorité. Tous sont les mêmes enfants d’un pays en guerre. Les chrétiens ne doivent pas être tolérés par l’effet d’une concession de la majorité, mais doivent se sentir pleinement chez eux.
Beaucoup de musulmans reconnaissent que les chrétiens ont contribué au développement du pays et ont, du fait même de leur naissance, le droit d’y vivre en paix. Je me suis souvent demandé où en serait l’Irak s’il n’avait pas possédé tout ce pétrole : est-ce que ce ne serait pas un pays pacifique ? Qui serait allé mourir dans le désert irakien s’il n’y avait pas là-bas toutes ces ressources ? De telles richesses peuvent soit aider un pays à se développer, soit le détruire. Ces très grandes ressources peuvent être utilisées pour le bien de tous.