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2 ottobre 2017

En Irak, la prière revivifiée des fidèles de Karakoch

By La Croix


Le silence. Ce jour-là, rien ne lui résiste dans la cour de l’église Saint-Behnam­‑et-Sainte-Sarah. Il écrase les grincements de chaise d’un retardataire et l’emporte sur les rares sonneries de téléphone portable. Les pleurs d’une fillette en jupon blanc se taisent, les derniers ajustements du chœur ne s’entendent pas.
Seul le ciel se tient au-dessus des 500 fidèles qui attendent, la mine souvent grave, la tête parfois baissée, dans la chaleur dense de la fin de journée. Chasuble beige aux reflets dorés, le père Ignatius, syrien-catholique, s’apprête à célébrer la messe en plein air. Dans la lumière d’un soleil oblique, il se tient derrière un autel installé contre la porte de son église, fermée. « Il n’y a pas d’électricité à l’intérieur et dehors, c’est plus beau », explique un sacristain.
La cérémonie, en ce jour de la fête de la Croix glorieuse, mérite un supplément de beauté. Fêté par les chrétiens d’Orient le 14 septembre, cet incontournable temps fort n’a pu être célébré à Saint-Behnam-et-Sainte-Sarah en 2016, pas plus qu’en 2015 et 2014. Comme l’ensemble de la plaine de Ninive, Karakoch a vécu pendant plus de deux ans sous le contrôle de Daech, chassé le 22 octobre dernier.

Trois milles familles sont revenues

Aujourd’hui, la ville ne ressemble plus tout à fait à la cité fantomatique qu’elle était il y a un an. Deux à trois mille familles sont revenues y vivre. Des enfants font du vélo dans la rue, un barbier s’affaire dans son échoppe, des taxis attendent des chalands. Chacun déblaie, nettoie, repeint, restaure. Mais les cicatrices demeurent bien visibles. Derrière le père Ignatius, la porte fermée de l’église ne suffit pas à dissimuler les destructions des terroristes islamistes et les traces des combats. Qu’ils regardent face à eux, et les fidèles réunis dans la cour aperçoivent des traces de coups de burin sur la voûte de pierre jaune sable. Qu’ils regardent à droite, et ils découvrent le clocher brisé à mi-hauteur par un bombardement.
« Je ne suis pas rentrée à l’intérieur, je serais trop triste, j’ai vu des images sur Facebook et tout est détruit », dit une étudiante en médecine de 22 ans, originaire de Karakoch et baptisée à Saint-Behnam-et-Sainte-Sarah. La jeune femme a ainsi préservé l’intensité de ses retrouvailles avec son église. « J’étais si heureuse, il y avait tant de sentiments en moi, dira-t-elle après la cérémonie. J’allais bien à l’église à Ankawa (quartier chrétien d’Erbil, à 70 km de Karakoch, où se sont réfugiés la plupart des habitants de la ville après l’arrivée de Daech, NDLR), mais c’est mieux ici, car tous mes souvenirs sont là. »

Un même attachement à Karakoch

Après plus de deux années à prier sous des voûtes étrangères, chacun renoue avec une part de lui-même en célébrant la fête de la Croix glorieuse à Saint-Behnam-et-Sainte-Sarah. Fabiano Alamos, 28 ans, réfugié au Canada depuis trois ans, est venu rendre visite à ses cousins. « Mon frère Raed avait dessiné les reliefs, il vit maintenant en Allemagne, se souvient-il en faisant visiter l’intérieur de l’église. J’avais peint les portes et ces inscriptions. » Au pied des murs calcinés, les reliefs pilonnés ont été décrochés.
Le père Rony Salam a le même âge que Fabiano et un attachement aussi fort à Karakoch. « Malgré les destructions, j’ai ressenti une certaine joie à mon retour, dit-il. Je me suis souvenu des chrétiens qui priaient dans les catacombes. Alors, j’ai demandé à Dieu de nous donner la force de conserver notre foi. Et j’ai eu une prière spéciale pour les membres de Daech pour que Dieu leur montre la lumière. » Daech lui a pourtant volé des années à jamais. « Quand j’étais séminariste, mon rêve était d’être ordonné dans la cathédrale de Karakoch, l’une des plus grandes de tout le Moyen-Orient, mais mon ordination a dû avoir lieu à Ankawa », regrette le jeune prêtre.

Une ferveur qui s’est intensifiée

Au lieu de l’affaiblir, les rappels omniprésents du cauchemar de Daech ont intensifié la ferveur de la prière. Aram, 24 ans, un grand gaillard revêtu d’un uniforme bleu des Unités de protection de la plaine de Ninive (NPU, groupe paramilitaire créé en 2015 pour défendre les chrétiens), fut l’un des premiers à pénétrer dans Karakoch à l’automne 2016. « J’ai demandé à Dieu que tout le monde revienne », dit-il. Le lendemain de la cérémonie en l’honneur de la Croix, il transportera les décombres des reliefs d’un bout à l’autre de l’église tandis qu’un groupe de femmes lessivera les chaises dans la cour.
Les destructions et les nombreux tracas pratiques qu’elles occasionnent n’atténuent pas davantage le recueillement des célébrants. À la droite du père Ignatius pendant la messe, le père Georges Jahola s’est imprégné de la célébration. « J’étais heureux, après trois ans d’absence, on a pu célébrer la messe dans la même communauté », confiera-t-il lors des festivités succédant à la cérémonie.

La situation exige ingéniosité et souplesse

Ce pilier de la reconstruction de Karakoch n’a pas retrouvé le four à hosties qu’avant l’arrivée de Daech il avait fait venir de Rome à Saint-Behnam-et-Sainte-Sarah. Volé, brûlé ? Qu’importe. « On apporte les hosties d’Ankawa », dit simplement le père Georges Jahola, qui a parcouru les 70 km entre Erbil et Karakoch pour participer à la cérémonie. À vive allure car avec lui, les contrôles aux check-points qui ponctuent la route ne s’éternisent pas. C’est l’effet de sa soutane, son « meilleur passeport », prévient-il en prenant le volant.
Encore hors norme, la situation exige ingéniosité et souplesse. « Il y a des discussions entre les religieux, indique le père Georges Jahola. Certains pensent qu’on ne peut pas célébrer des messes dans des églises profanées par Daech et qu’il faut d’abord les consacrer. Pour moi, le besoin pastoral est plus fort que le droit de l’Église. »
Sa position fait écho au geste de l’évêque syrien-catholique de Mossoul et Karakoch, Mgr Petros Moshe, qui a dit une messe dans les décombres encore frais de la cathédrale de Karakoch, le 30 octobre 2016, alors que Daech venait tout juste de quitter la ville. « Pour moi, c’était la victoire du bien sur le mal, j’étais désespéré de ne pouvoir rentrer chez nous, se souvient-il. Pour les fidèles, ce n’était pas une question. Ils avaient les yeux remplis de larmes. Ce ne sont pas seulement les églises, ce sont aussi les cœurs qui ont été détruits. »

Chrétiens d’Irak, le retour ou l’exil

Environ 400 000 chrétiens vivent en Irak aujourd’hui. Parmi eux, les chaldéens sont les plus nombreux, soit environ 200 000 fidèles. Les syriens-catholiques sont près de 40 000. Le pays compte aussi des fidèles des Églises syrienne-orthodoxe, arménienne et latine.
Les chrétiens étaient près d’un million en 2003, au début de l’intervention américaine, qui a déclenché des tensions entre communautés, les chrétiens étant associés à l’occupant par les musulmans.
L’année 2014, qui correspond à l’expansion de Daech dans la plaine de Ninive, est charnière. Les chrétiens syriens-catholiques étaient près de 70 000 en Irak cette année-là. Ils sont au nombre de 40 000 désormais.
Les chrétiens d’Irak vivent surtout au Kurdistan et dans la plaine de Ninive. Certains sont aussi établis à Bagdad, la capitale, et à Bassorah.
Entre 2 000 et 3 000 familles sont retournées vivre à Karakochdepuis sa reprise à Daech, en octobre 2016. La ville comptait 60 000 habitants, essentiellement syriens-catholiques, avant 2014.
Seules quelques familles chrétiennes sont rentrées à Mossoul, reprise à Daech en juillet dernier. Les lieux saints, concentrés dans la vieille ville, sont à l’abandon : la cathédrale Notre-Dame de l’Heure et le couvent de Saint-Georges, saccagés, l’église Saint-Thomas, en partie bombardée, le monastère de Saint-Élie, dynamité par Daech. Les forces irakiennes, qui les déminent, en interdisent encore l’accès, même aux responsables des Église.