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8 settembre 2014

Partir ou rester, l’impossible dilemme des chrétiens d'Irak

Anne-Bénédicte Hoffner

« Tout le monde veut partir. C’est comme une hémorragie que rien ne pourrait arrêter. » Diacre, Yasin a pris en charge l’organisation du camp de déplacés installé autour de l’église syrienne-orthodoxe d’Oum an Nour (Mère de Lumière) à Ankawa, la banlieue d’Erbil.
Parmi les 87 familles abritées sous des tentes ou dans l’église en construction, la plupart, constate-t-il, ne veulent retourner à Mossoul que « pour vendre leurs biens et partir ».
« Tu ne quitteras point ton pays », le « 11e commandement » des Églises orientales, selon l’expression du P. Douglas, prêtre chaldéen responsable du sanctuaire Mar Elia à Ankawa, a vécu. Un commandement déjà contesté par les fidèles, d’autant que certains de ses défenseurs avaient eux-mêmes mis leurs familles en lieu sûr…
Cette fois, l’ampleur du désastre semble l’avoir rendu caduc. Responsable d’un camp dans une école publique kurde d’Ankawa, le P. Samer, prêtre syrien-catholique de Qaraqosh, avoue avoir « changé de discours ».
« Avant j’étais contre l’émigration, je disais à mes fidèles qu’ils ne pouvaient abandonner la terre de leurs ancêtres, même quand les bombardements se sont approchés de Qaraqosh. Mais aujourd’hui, je les aide à émigrer. »
Leur refuge kurde apparaît à beaucoup bien précaire face aux assauts de l’État islamique (EI). Et les chrétiens ne s’y sentent pas chez eux. « Il faut les aider à partir, nous n’avons plus le choix », soutient aussi, très abattue, Mère Maria, supérieure des dominicaines en Irak, qui a dû quitter précipitamment son couvent de Qaraqosh.
Dans tous les camps, les dossiers jaunes distribués par le gouvernement kurde pour reconstituer papiers d’identité ou passeports volés par l’EI ont fleuri. Certains prêtres passent des journées entières à signer des certificats de baptême dont leurs fidèles espèrent qu’ils les aideront à obtenir un visa.
Certains déplacés sont conscients de la difficulté de l’exercice. Peu de pays, excepté la France, ont annoncé leur intention de les accueillir. Et encore, celle-ci devrait réserver cette possibilité aux déplacés qui ont déjà parents ou amis susceptibles de les accueillir, capables de travailler à brève échéance, ou encore à quelques-unes des victimes les plus « fragilisées », comme ces femmes yézidies violées par les djihadistes et considérées comme déshonorées par leurs proches.
Profondément attachés à leur terre et à leur Église, les chrétiens de la plaine de Ninive entrevoient aussi qu’à l’étranger leur vie pourrait ne pas être si simple.
« Émigrer, ce n’est pas juste ouvrir une porte et cueillir des fleurs mais repartir en dessous de zéro »
, reconnaît Yasin, le diacre d’Oum an Nour.
Pour cette raison, lui et sa famille, installés à Ankawa depuis quelques années où ils ont trouvé un travail, ont décidé de « rester et se battre pour l’Irak ». Réfugiée à Souleymanié, Hanna, elle, a eu des nouvelles de ses neveux partis pour la France avec une quarantaine de réfugiés le 21 août. « Les premiers jours, ils étaient contents. Maintenant, ils disent qu’ils s’ennuient. »
Interrogés sur leur avenir, les déplacés ne cessent, au fond, d’osciller entre rêve d’émigration et rêve de regagner leurs villages « sécurisés par une force de protection internationale ».
« Ils sont tellement effrayés qu’ils ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent », estime aussi le P. Douglas, qui a choisi de ne pas « les culpabiliser davantage ». « Il est normal de penser à ses enfants, mais je leur demande de bien prendre leur décision en famille. »