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9 novembre 2011

Quel rôle peut jouer l’Union européenne en Irak ?

By Europinfos
Cet entretien a été réalisé par Père Joe Vella Gauci


Mme Hybášková, en tant que nouveau Chef de la Délégation de l’Union européenne en Irak et dans le contexte de ce "scénario de cauchemar", dans quelle mesure aurez-vous la possibilité de promouvoir la politique de l’UE pour atteindre la sécurité, la stabilité (la suprématie du droit) et la démocratie ?
Je suis très fière d’être en Irak pour représenter le Service européen d’action extérieure. J’ai ainsi la possibilité de servir les intérêts de 500 millions d’Européens comme de 32 millions d’Irakiens. Ce qui nous intéresse essentiellement, c’est la stabilité de ce pays extrêmement riche en ressources, le dernier pays du monde à pouvoir changer fondamentalement la nature des marchés de l’énergie.
En outre, l’Irak est le premier pays du Moyen-Orient à avoir un gouvernement démocratiquement élu. Il essaie actuellement de gérer d’énormes revenus pétroliers. La concurrence entre les différents groupements politiques est donc naturelle. L’Union européenne peut soutenir l’Irak en consolidant le processus démocratique, en encourageant l’adoption de la prochaine Loi sur les Hydrocarbures, en équilibrant intérêts régionaux et intérêts fédéraux et en promouvant la démocratie représentative.
De même, l’Union peut aider à surmonter le sectarisme. Le tissu social de l’Irak a été profondément endommagé à l’époque de Saddam, qui a amené la guerre entre l’Iran et l’Irak, les sanctions de l’ONU et les massacres de Kurdes et de Shiites, ces derniers lors du soulèvement au sud de l’Irak. Au cours de ces 35 dernières années, le pays a perdu près de 4,6 millions de personnes. L’Union européenne est un bon exemple de société humaine qui a réussi à renaître de ses cendres.
Les forces militaires américaines sont en train de partir tandis que la "force tranquille" de l’UE arrive dans le pays. Nous soutenons l’Irak au moyen de notre mission "Etat de Droit", intitulée EUJUST LEX. Jusqu’à présent, cette mission a permis de former plus de 3.000 policiers, juges et membres du personnel pénitentiaire irakiens. Mais la force tranquille européenne a également un côté humanitaire. Nous sommes maintenant ouverts à la possibilité d’une coopération directe avec les ONG dans le domaine des projets humanitaires. Nous aidons un million de veuves et 800.000 orphelins sans ressources.
Naturellement, l’Europe a aussi ses propres intérêts. Nous avons besoin de renforcer le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’Irak sur le plan énergétique, principalement dans la perspective des futurs approvisionnements en gaz via ce que l’on appelle le Corridor Sud. Ceci ne sera pas possible sans un Etat irakien et une économie pleinement unifiés et pleinement opérationnels. La stabilité de l’Irak est donc un intérêt naturel de l’UE.

Comment voyez-vous le rôle de la religion, ou mieux encore de la “diplomatie interreligieuse” ? La religion devrait-elle avoir sa place au sein du Service européen d’action extérieure (SEAE), par exemple en créant un “Département Religion” ?
La religion joue un rôle très important dans la région. Le Moyen-Orient tout entier est à la recherche d’une identité et il est actuellement déchiré par le sectarisme. Les Etats totalitaires tombent, mais il n’existe pas encore de sociétés modernes où les droits de l’homme sont garantis à chacun en toute égalité.
En Orient, les gens sont désespérément à la recherche d’une communauté, d’une identité commune. Etant donné l’héritage de l’oppression et la destruction d’une culture par de nombreuses années de guerre, il est naturel de tendre vers le sectarisme. Bien sûr, la religion est souvent utilisée pour promouvoir les intérêts de dirigeants parfois corrompus. Certains cherchent donc à imposer leur vérité à d’autres afin de gouverner et d’engranger des bénéfices matériels.
Ceci n’a rien à voir avec l’islam, les Shiites, les Sunnites, le christianisme ou le judaïsme. Nous avons besoin d’aider ces sociétés à reconnaître, à développer et à garantir les droits fondamentaux individuels ; nous avons besoin de rénover les communautés civiles et de promouvoir la démocratie dans des sociétés où la religion joue un rôle fondamental. C’est ce qui s’est passé en Europe avec la démocratie chrétienne.
Notre nouveau service d’action extérieure, le SEAE, bénéfice actuellement de l’apport de nombreux diplomates provenant de nos Etats membres, qui sont entrés au SEAE. Ils aident maintenant à édifier son nouveau visage politique. Ce qu’il faut aujourd’hui, plutôt qu’une connaissance approfondie de la religion, c’est un soutien et une solide compréhension commune du respect des droits de l’homme, incarnés dans l’esprit du SEAE. C’est seulement à ce moment-là que nous pourrons remplacer le conflit actuel entre les sectes par la diffusion de la tolérance, de la compréhension mutuelle, de la coexistence pacifique et de l’amour de l’humanité.

Comment l’Union européenne pourrait-elle promouvoir la sécurité à l’égard des menaces des terroristes (tels que "l’Etat islamique d’Irak" – une organisation qui dit se rattacher à Al-Qaeda) et renforcer la prospérité économique irakienne ?
L’origine de la souffrance en Irak est l’endommagement du tissu sociétal, la destruction du capital social et culturel, l’effondrement des communautés et le profond enracinement de la pauvreté. Les Irakiens doivent faire face à la réalité sociale d’un pays profondément religieux où l’on trouve près de 3 millions de veuves sans ressources, 700.000 enfants non scolarisés et près de 100.000 détenus en attente de jugement.
Cette misère générale, alliée à un taux très élevé d’analphabétisme, à un fort taux de chômage et au mauvais état de l’économie, constitue un terrain parfait pour que se développe le terrorisme. Au bout d’un mois à Bagdad j’ai compris très nettement ce qu’était l’insurrection : essentiellement une occasion de "faire des affaires". Les insurgés travaillent dans le domaine de l’extorsion de fonds, des enlèvements, des cambriolages ; et les prisons offrent un terrain propice à ces activités.
Pour guérir cette plaie profonde, nous devons changer la situation économique et éliminer la pauvreté en Irak. La première priorité est l’électricité. La fourniture d’électricité reste clairsemée et sa distribution continuera d’être un défi majeur. L’Union européenne doit donc soutenir les communautés locales pour qu’elles trouvent leurs propres sources d’énergie, ce qui sera une bonne chose pour les services de santé de base, les services éducatifs et les services sociaux ainsi que pour les petites entreprises. Ce n’est que lorsque le taux de chômage baissera et que l’on verra augmenter le nombre d’élèves dans les écoles primaires que nous pourrons assécher le marais de l’insurrection. L’autre moyen d’aider le pays consiste à promouvoir de bonnes relations régionales et à résister à l’ingérence des voisins de l’Irak dans ses affaires intérieures. Nous avons là un véritable rôle à jouer.

Comment l’Union européenne va-t-elle avoir accès à des informations et des dossiers exacts au sujet des réfugiés irakiens et leur garantir un logement convenable, en leur assurant que les familles resteront ensemble et ne seront pas séparées, en leur garantissant le droit aux services de santé et aux services éducatifs en vue d’avoir des revenus et un gagne-pain convenables, en sauvegardant les intérêts des groupes vulnérables et en les aidant à maintenir une communication régulière avec leur famille élargie en Irak ?
L’UE suit de près la situation des réfugiés irakiens dans la région, en coopération avec nos partenaires. Nous sommes pleinement conscients des réalités et des tendances en la matière. Nous aidons actuellement les réfugiés irakiens au niveau de l’eau et des sanitaires, des soins de santé, des services psychosociaux et de l’hébergement. Nous aidons aussi l’Irak à absorber l’afflux de réfugiés et à les intégrer dans le système scolaire et les services de base en la matière.
Grâce aux revenus du pétrole, l’Irak dispose maintenant des fonds nécessaires pour garantir à tous ses citoyens un niveau de vie correct. Nous leur rappelons constamment la nécessité de s’occuper des conditions de vie des groupes vulnérables en général et des réfugiés en particulier. Nous faisons également pression sur le gouvernement irakien pour qu’il crée les conditions du retour des familles et des particuliers. Le gouvernement est sensible à ces questions, mais la mise en œuvre demeure un problème.

Sur la base de votre analyse et de votre expérience personnelles, oserez-vous discerner la direction que va prendre la "Rue arabe", suite aux récentes perturbations dans le corps politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord ?
Il existe une différence importante entre les révolutions du Printemps arabe et celles d’Europe centrale et orientale. Ces dernières étaient toutes axées sur le plan politique, les masses luttaient pour leurs droits civils et politiques, notamment la liberté d’expression, de religion et de mouvement.
La situation est différente au Moyen-Orient : la révolution est sociale. Les gens exigent une survie de base, des emplois, des écoles, des logements, des pensions et une sécurité sociale de base, de l’eau propre et du pain. Leurs revendications politiques sont moins prononcées. Il n’est donc pas correct de parler d’islamisme, d’islamisation ou de sectarisme à ce stade d’évolution de la situation.
Un point capital, c’est que les possibilités d’intervention de l’Europe sont très limitées dans le temps. Si, dans les deux ou trois mois à venir, l’Union européenne et plus généralement l’Occident ne soutiennent pas les peuples du Moyen-Orient pour que soient satisfaites leurs exigences de base, ils se tourneront vers ceux qui ont les meilleures organisations caritatives, les meilleurs services sociaux, les promesses les plus faciles. Malheureusement, à l’heure actuelle, le seul système de sécurité sociale qui existe dans la région est un système islamiste. Ce créneau est actuellement en train d’être occupé avec le soutien de l’Iran. Si nous ne nous organisons pas et que nous ne réagissons pas en prenant des mesures adaptées, fondées sur des enquêtes sociales et des évaluations précises des besoins, si nous n’apportons pas une valeur ajoutée et que nous n’aidons pas à fournir à court terme des services de base, je crains que nous ne perdions du terrain. Je suis donc favorable à toute mesure de l’Union européenne pour aller de l’avant.